Dans son livre Le crépuscule des Jeux, Guillaume Desmurs mène l’enquête sur les dessous opaques de l’attribution des Jeux olympiques et paralympiques 2030 aux Alpes Françaises. Entretien.
24 juillet 2024, à l’orée des Jeux Olympiques d’été de Paris, le CIO annonçait l’attribution de l’édition hivernale 2030 aux Alpes Françaises, seul candidat en lice. Malgré les réjouissances de certains, une poignée, le déroulé de cette candidature interroge, notamment sur la rapidité de la constitution du dossier porté par les régions PACA et Auvergne-Rhône-Alpes mais aussi sur l’opacité qui règne autour de son montage. C’est dans ce contexte que le journaliste et écrivain Guillaume Desmurs, fondateur du Lama Project, s’est lancé dans une enquête passionnante pour mettre en lumière les nombreuses zones d’ombre des JOP 2030. Un travail de longue haleine qu’il a retranscrit dans un livre, Le crépuscule des Jeux, publié aux éditions Guérin.
Ecolosport : Quelle est la genèse de votre livre Le crépuscule des Jeux ?
Guillaume Desmurs : Vivant dans les montagnes depuis mon plus jeune âge, je m’intéresse fortement à la difficulté que rencontre ces territoires à se transformer, c’est d’ailleurs ce qui m’a motivé à lancer le Lama Project. Après avoir écrit des ouvrages sur l’histoire des stations de ski, j’ai publié en 2020 un essai s’intitulant « Touche pas au Grisbi » avec l’idée de proposer une introduction sur la situation de ces domaines et leur modèle économique particulier. Quand j’ai entendu parler des Jeux Olympique 2030, je me suis beaucoup interrogé sur cette candidature, ce qu’il y a derrière car au final, elle a été assez soudaine et reste très obscure. De février à octobre 2024, j’ai essayé de recenser et parcourir les informations disponibles, de me rendre sur le terrain, de réaliser des interviews pour mieux comprendre ce qui se cache derrière.
Pouvez-vous nous éclairer sur le déroulé du dossier Alpes 2030 ?
Initialement, chacune des deux régions planchait sur sa propre candidature. Provence-Alpes Côte d’Azur était plus avancée qu’Auvergne-Rhône-Alpes d‘ailleurs. Mais au printemps 2023, le CIO a soumis l’idée d’un dossier commun à rendre pour octobre 2023. Dans le même temps, David Lappartient, l’un des 4 porteurs d’Alpes 2030 aux côtés de Renaud Muselier, Laurent Wauquiez et Emmanuel Macron, est élu à la tête du CNOSF. Tout se décide entre eux et un dossier a donc été ficelé en 4 petits mois. À titre de comparaison, la candidature d’Annecy pour accueillir les JOP 2018 – dossier qui, à l’époque, avait été recalé avec un score historiquement bas – avait été façonnée durant plusieurs années. Autre exemple, la ville de Paris a fait 3 tentatives avant de décrocher le graal. Dans ces 2 cas de figure, on parle d’un laps de temps long entre la candidature et la tenue de l’événement.
Pour les Alpes 2030, personne n’a vu la couleur du dossier et à l’automne 2023, le CIO annonçait la sélection de cette candidature pour la phase finale de dialogue ciblé…sauf qu’il n’y avait pas de concurrence ! Lors de la même session, Salt Lake City était désignée pour organiser l’édition 2034. Cela prouve que très peu de villes et pays se positionnent désormais pour organiser cette compétition. Les raisons climatiques mais aussi la volonté de ne pas dépenser une somme astronomique d’argent public qui se chiffre en milliards d’euros pour un simple événement expliquent cette situation. Entre le flou qui règne sur les sites des épreuves, le budget qui ne cesse d’augmenter ou encore le choix de mettre le pôle « épreuves sur glace » à Nice, l’une des villes les plus chaudes de l’hexagone, on se rend compte que n’importe quel dossier présenté par la France serait passé.
Pourtant, la Suisse et la Suède semblaient prêtes à candidater ?
Ces deux pays ont très rapidement été recalés. Pour nos voisins helvètes, leur constitution nécessitait l’organisation d’un référendum public, ce que le CIO ne veut pas car ce processus est trop démocratique, ce qui ne correspond pas trop au fonctionnement de cette institution. D’autant plus que ce type de processus aurait eu de fortes chances de déboucher sur un vote à l’encontre des JOP. Dans le cas de la Suède, le gouvernement ne voulait pas signer la garantie d’état, une sorte de chèque en blanc engageant le pays hôte à financer coûte que coûte la tenue de l’événement et payer les dépassements de budget.
Garantie d’état que Michel Barnier a signé avant de quitter son poste de Premier Ministre…
Exactement, nous sommes dans un pays où le déficit budgétaire est historique mais le gouvernement est tout de même prêt à dépenser des milliards d’euros pour un événement sportif, aussi beau et important soit-il. Est-ce que cet argent ne serait pas plus utile ailleurs ? Si on se concentre sur la situation des territoires de montagne, il y a une urgence à financer la transition économique des stations de ski, qui font face à une baisse de l’enneigement, ou encore l’adaptation aux phénomènes climatiques de plus en plus extrêmes – extinction des glaciers, pluies diluviennes, éboulement… – qui impactent déjà durement les infrastructures ainsi que les habitants de ces zones et ça ne va aller qu’en s’empirant.
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Il y a pourtant de belles promesses dans cette candidature, qu’en pensez-vous ?
En effet, sur le papier, il est question de Jeux durables, populaires, sobres financièrement et énergétiquement, et aux services de la transition des territoires de montagne. J’aimerais très sincèrement les croire mais on se rend très vite compte que c’est une coquille vide. Il n’y a rien, aucun objectif chiffré, pas de méthodologie proposée… Au vu des informations dont on dispose aujourd’hui, il est clair que ces JOP n’apporteront rien dans la nécessaire transformation des espaces montagnards. Finalement, on réalise que seuls le secteur de l’immobilier et les projets d’infrastructures routières seront les gagnants de cet événement.
À l’heure où on se parle, ces JO 2030 ont eu pour seul résultat de permettre à des dossiers qui prenaient la poussière au fond d’un tiroir de voir le jour. C’est le cas du Fort des Têtes à Briançon, où la Mairie essaye depuis 10 ans de développer des habitats sur ce site, ou encore de l’ascenseur valléen de Bozel, avec son parking. Si on s’intéresse au COJOP, en charge de l’organisation et des infrastructures temporaires, il pédale dans la semoule. À part la nomination d’Edgar Grospiron et d’un directeur (Cyril Linette, ancien patron de L’Equipe ou de PMU, ndlr), il n’y a pas encore d’équipe en place. Quant à la liste officielle des sites des épreuves, elle n’est toujours pas dévoilée. Parallèlement, la Solideo, organisme basé à Marseille qui va livrer les infrastructures pérennes (routes, constructions), avance déjà et de manière structurée.

À qui profite ces Jeux olympiques et paralympiques 2030 alors ?
Le principal objectif pour les porteurs du dossier, c’est de servir le cœur économique historique des stations de ski en France, à savoir l’immobilier. Quand on dit que 95 % des infrastructures sont déjà existantes, c’est faux. Il y a des villages olympiques qui vont être construits (Grand Bornand, Bozel, Nice, Briançon), des contournements routiers, des ronds-points, des centres médias (Nice, Grand Bornand, Courchevel). Des forêts vont être coupées pour créer des pistes pour les épreuves de ski freestyle à Montgenèvre et à Serre Chevalier, ainsi qu’une patinoire à Nice. Précisons, également que 2 patinoires éphémères doivent voir le jour dont une dans un stade et une dans une salle de concert. Ces villages olympiques, promesses de logement sociaux vont, comme d’habitude, gentrifier les quartiers en offrant de la résidence secondaire ou touristique.
Selon moi, on maintient un modèle économique moribond et sans avenir. Aujourd’hui, il y a 50 % de lits froids, locations occupées 3 à 4 semaines par an, dans les stations de ski ! Il n’y a quasiment pas de vie à l’année, pas d’activité, pas de service à l’intersaison. Ce sont des villes-fantôme une bonne partie de l’année. Honnêtement, j’ai adoré regarder les Jeux de Paris, l’engouement populaire qu’il y a eu, tout comme ce fût un moment marquant pour moi d’être bénévole en 1992 à Albertville. Mais l’heure est au changement désormais.
Dans ce projet des JOP 2030, il n’y a aucune démarche démocratique, un petit groupe décide, et qui va payer sans en toucher le moindre bénéfice ? Les contribuables français dont les habitants des territoires concernés. Un exemple, celui de la piste de bobsleigh à La Plagne qui avait été construite pour les JOP 1992. Depuis, la commune débourse annuellement 150 000€ pour combler le déficit d’exploitation de cette infrastructure.
Et comment réagissent les locaux ?
Jusqu’à quelques mois en arrière, il y avait beaucoup de désintérêt et de méconnaissance. Dans la vallée de Thône où je réside, communauté de communes sur laquelle se trouvent deux futurs sites olympiques (La Clusaz et le Grand Bornand), bon nombre d’habitants n’étaient pas au courant du projet de village olympique de 700 lits au Grand Bornand. Il faut se rendre compte que même les mairies concernées n’ont pas leur mot à dire dans ce dossier. Heureusement, les choses commencent à bouger un petit peu, les gens s’interrogent. Je constate qu’une ligne de partage apparaît. Il y a ceux qui défendent à tout prix ces JOP de façon très idéologique et ce, dans le mépris de la réalité et de tout constat lucide car ils en dépendent financièrement. De l’autre côté, on trouve des citoyens qui proposent des alternatives, pour faire autrement et tenir vraiment compte des menaces.
Il faut savoir qu’il n’existe qu’un seul document officiel accessible au grand public pour les Alpes 2030 : le rapport de la commission futur hôte du CIO paru en juin 2024 suite à la visite des potentiels sites des épreuves. Il détaille les projets de construction d’infrastructures, leurs coûts… Ce qui est savoureux par exemple, c’est qu’il est écrit noir sur blanc que « la patinoire de Nice ne sera pas rentable en exploitation commerciale post-JOP ». Il y a même une estimation du déficit qui, indéniablement, sera comblé par les collectivités alors que messieurs Muselier et Estrosi expliquent à qui veut l’entendre que le contribuable local ne sera pas impacté. Ce que je retiens après l’écriture de ce livre Le crépuscule des Jeux, c’est que malgré l’expérience, rien n’a changé. Des études ont prouvé que le budget réel des précédents Jeux olympiques est, en moyenne, doublé par rapport au prévisionnel. Ceci est notamment lié à une sous-estimation des coûts et, à l’inverse, une surestimation des bénéfices. De même, on sait que les villages olympiques, transformés ensuite en résidences, gentrifient les zones où ils sont implantés. Tout ça, on le sait, c’est vérifié depuis quarante ans, mais on continue comme si de rien n’était.
Et pensez-vous qu’un retournement de situation soit possible ?
Je ne me prononcerais pas sur ce point, c’est très complexe. Tout est possible tant nous sommes dans une situation internationale et nationale très instable – climatique, géopolitique… Dans Le crépuscule des Jeux, il y a un chapitre consacré au cas de Denver. La ville avait été désignée pour accueillir les Jeux olympiques de 1976. Mais il y a eu une forte opposition, composée d’associations hétéroclites, qui s’est rassemblée et a organisé un référendum à l’échelle du Colorado en 1972. La question posée était : « Êtes-vous d’accord pour que l’État du Colorado mobilise de l’argent public pour les Jeux olympiques ? ». Il faut préciser qu’à l’époque, il n’y avait pas ou peu de partenaires privés. Le « non » a emporté la majorité, entraînant une cascade de désengagements sur le plan financier, ce qui obligea le CIO à déplacer la compétition à Innsbruck, en Autriche.
Nous arrivons au terme de cet entretien, souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Je conclus mon ouvrage par une citation de Sam Brown, opposant aux JOP de Denver, que je trouvais très radicale au début de mes recherches. Après avoir écrit Le crépuscule des Jeux, je la trouve très factuelle et encore valable 50 ans après : « Les Jeux olympiques (d’hiver) sont des sports de riches payés par les pauvres dont le but est la promotion du tourisme et de l’immobilier. »
> Lire : Le crépuscule des Jeux, éd. Guérin, disponible ici