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Série “Nouveaux Imaginaires” – Éline Le Ménestrel, entre grimpe et activisme

Série “Nouveaux Imaginaires” - Éline Le Ménestrel, entre grimpe et activisme
© Chris Eyre Walker
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Dans ce sixième et dernier épisode, Ecolosport s’est entretenu avec Éline Le Ménestrel, activiste écologique, grimpeuse et étudiante en master Sciences et Gestion de l’environnement à l’Université Libre de Bruxelles, sur son rapport avec la performance sportive, les territoires et la liberté.

Les Nouveaux imaginaires. Voici le sujet de cette nouvelle série d’Ecolosport, qui va s’atteler à repenser de nouveaux modèles pour le sport de demain. Ce n’est un secret pour personne : le modèle sportif que nous connaissons aujourd’hui exerce des pressions qui ont un impact sur les écosystèmes et de facto nos conditions d’habitabilité sur Terre. À la fois victime mais aussi responsable du dérèglement climatique, le sport fait face à des questionnements de taille concernant sa transformation et son adaptation. Relatant les constats et les réflexions d’intervenant(e)s varié(e)s, ces entretiens ont l’ambition de comprendre les enjeux et les solutions liés à l’Économie Sociale et Solidaire jusqu’aux idées de la réduction de nos activités, la décroissance.

Ecolosport : Tout d’abord, est-ce que vous pouvez vous présenter ?

Éline Le Ménestrel : Je m’appelle Éline Le Ménestrel et j’ai 27 ans. Je suis grimpeuse professionnelle et activiste écologique. Cela veut dire que je passe mon temps soit à grimper, m’entraîner ou essayer de repousser mes limites en escalade, soit à militer, m’engager, réfléchir ou me former par rapport aux questions écologiques et sociales. J’essaye donc de trouver des solutions et de rendre ce monde plus juste et plus respectueux du reste du vivant. 

Dans le vocabulaire de la grimpe, il existe un concept : le redpoint. Qu’est-ce que cela signifie ? 

Éline Le Ménestrel : Redpoint est un terme anglais qui signifie “enchaîner une voie”. Cela veut dire partir du bas de la voie et arriver en haut sans utiliser la corde ou les points d’assurage pour se tirer ou pour grimper.

Il y a un terme que vous défendez, c’est celui d’ecopoint ? Quelle est la différence avec le redpoint et qu’est-ce qu’il permet de redéfinir ? 

Éline Le Ménestrel : Ecopoint, c’est l’idée de considérer qu’une voie est enchaînée si et seulement si on est allé l’essayer et la réaliser de manière durable. C’est en utilisant la mobilité douce ou tout ce qui n’utilise pas d’énergies fossiles, comme les transports en commun, le train, le vélo, la marche, le cheval, le kayak. Quand on regarde l’impact carbone d’un grimpeur ou d’une grimpeuse, 70% correspondent au transport, ce qui est très représentatif. 

Se déplacer différemment permet également une redéfinition de plein de choses qui sont intéressantes pour faire cette transformation dont on a besoin culturellement. Si on se déplace à vélo, on va avoir beaucoup plus de liens avec le territoire qu’on traverse. Que ce soit par rapport aux espèces qui y vivent, aux reliefs et à la géographie du lieu. On va mieux le connaître et vouloir mieux le défendre des impacts négatifs sur la biodiversité, sur l’eau, etc. 

Ce qu’on redéfinit surtout avec l’ecopoint, c’est la notion de performance en sport. Le sport est tellement absurde qu’il n’a de sens que celui qu’on lui donne. On essaye donc de donner du sens à la performance sportive en applaudissant un exploit sportif si et seulement si il prend en compte son impact environnemental et essaye de le réduire. On part du principe qu’en 2025, cela ne sert plus à rien d’acclamer des performances sportives si elles détruisent la planète ou si elles ont des conséquences sociales qui renforcent les travers et les défis actuels plutôt que de chercher à les résoudre. 

On peut voir sur vos réseaux sociaux que vous alliez les engagements écologiques à votre pratique, notamment en allant sur les lieux de grimpe en vélo. Est-ce que vous vous considérez comme activiste-athlète ou athlète-activiste ? Et comment cela se manifeste-t-il dans votre quotidien ?

Éline Le Ménestrel : Je pense activiste-athlète car je serais capable de changer de métier pour rester en accord avec mes valeurs et je ne serais pas capable de bafouer mes valeurs profondes pour rester athlète. Concrètement, je considère qu’un métier doit apporter quelque chose au monde. J’ai vraiment pris ça comme une condition et il fallait que ma manière de pratiquer l’escalade apporte vraiment quelque chose au monde. J’essaye donc d’utiliser ma petite notoriété ou la voix que je peux avoir via l’escalade pour faire passer les idées que je nourris et auxquelles je réfléchis en profondeur. C’est ce que je fais dans mes études et je passe beaucoup de temps à lire et à me former sur des leviers écologiques. 

Comment fait-on alors, avec notre petite capacité d’action en tant qu’individu ou en tant que groupe d’individus, pour faire face à quelque chose d’aussi grand que sont les défis écologiques actuels ? Je cherche ça de plein de manières, en partie dans la théorie et de l’autre dans l’application concrète dans ma vie d’athlète.

Vous avez pu inscrire dans les clauses de votre contrat avec Salewa qu’une partie de votre travail d’athlète est d’aller poser des questions qui dérangent. Comment cela s’est-il opéré ? Auriez-vous des exemples de questions récentes ?

Un contrat se fait entre deux parties. À l’époque, avec Salewa, on a beaucoup discuté. Ce qui a fait qu’on puisse le faire, ça a été le lien que j’avais avec les personnes avec qui je travaille, la confiance et les valeurs partagées. On essayait de trouver des moyens de les appliquer dans le concret et le fait de l’écrire dans un contrat, ça change quand même. Même si cela peut paraître symbolique, ça ne l’est pas du tout. Comme les entreprises qui redéfinissent leurs statuts (les B Corp ou les entreprises à mission), elles doivent écrire que le but de l’entreprise n’est pas seulement lucratif mais aussi de résoudre un problème. 

J’ai un exemple récent d’une salle d’escalade qui m’a demandé de participer à un atelier pour une soirée FINTA. C’est une soirée où la salle est ouverte seulement aux femmes, aux intersexes, aux personnes transgenres, etc. Et puis, elles m’expliquent que leur principe, c’est que ces ateliers deviennent bénévoles sur le long terme. Pour moi, il y avait un problème fondamental de valeurs parce qu’un des axes principaux de la lutte féministe, c’est de lutter contre le travail invisible (dans la sphère domestique ou le bénévolat) supporté surtout par ces mêmes personnes. Par conséquent, tout ça entretiendrait ce contre quoi elles luttent quand elles veulent faire leur soirée. Donc je vais l’exprimer et des fois, ça dérange.

© Chris Eyre Walker
Quel a été le chemin pour arriver à allier ces deux composantes ?

Éline Le Ménestrel : C’est d’abord venu du fait de vouloir être grimpeuse professionnelle. Je viens d’une famille de grimpeurs. J’ai grandi entourée de gens qui vivaient de l’escalade donc ça m’a toujours paru quelque chose de tout à fait possible. 

À 20 ans, j’ai arrêté la musique parce que je n’arrivais plus à combiner les deux. En musique, tu passes énormément de temps à travailler ton instrument mais quand tu montes sur scène, c’est évident que tu apportes quelque chose. C’est la force de l’art. On m’a toujours dit, tu ne travailles pas ton instrument pour toi mais pour la musique, quelque chose de plus grand que toi. Et quand j’ai arrêté, je me suis dit : comment faire pour que mon métier ait du sens ? Puis, j’ai eu une grosse blessure qui a fait que je ne pouvais pas grimper. J’avais plein de temps disponible et je me suis engagé dans un projet d’activisme sur le droit des montagnes d’Europe. J’ai alors découvert l’action collective et j’ai trouvé ça incroyable, donc j’ai continué.

Vous avez parlé dans un reportage dans Tout Le Sport de réinventer le sport et sa pratique. Quelle vision du sport supportez-vous pour les prochaines années ?

Éline Le Ménestrel : Déjà, un sport anticapitaliste, parce qu’il redéfinit la performance. La notion de performance est très capitaliste et on arrêterait d’appliquer les logiques du toujours plus. C’est donc un sport qui élargit la vision de la performance en incluant la dimension écologique, la dimension sociale et la dimension de sens. Se dire que le sport est hyper important dans la société, mais comment lui donner une place qui serve vraiment le plus grand nombre et le bien commun et non pas juste les privilégiés et les riches ? Le gros impact écologique lors des événements sportifs, c’est le déplacement des spectateurs. Par conséquent, ce serait plus intéressant au niveau écologique de faire plus de petits événements que d’immenses événements avec 50 000 personnes.

Après, c’est surtout un sport inclusif. Il y a une immense différence en termes de budget entre les hommes et les femmes dans le sport. Le pourcentage du budget mondial de sponsoring de tous les sports alloué aux femmes est de 0,4%. C’est indispensable que cela change et d’encourager les femmes et les filles à faire du sport. En termes de féminisme, se reconnecter, apprendre et aimer son corps d’une manière saine, c’est quelque chose d’extrêmement important.

Et puis, c’est un sport sobre. Ce qu’on aime dans le sport, c’est se dépasser, partager des moments avec des proches, la sensation après l’effort et ce sont des choses qui n’ont pas besoin de pistes de ski à Dubaï. On peut retrouver des éléments fondamentaux que l’on aime dans le sport sans cette folie des grandeurs de la fin du XXème siècle qui perdure encore. 

L’utopie est souvent discréditée comme quelque chose de souhaitable mais d’irréaliste. Mais à travers Upossible, on a l’impression que c’est à la fois possible et désirable. Est-ce qu’en créant ces projets, vous essayez d’apporter du possible au réel comme le dit Alain Damasio ?

Éline Le Ménestrel : Il y a plein de définitions du mot utopie, et la définition comme quoi c’est un lieu impossible est une définition parmi d’autres. Il y a quelque chose de restrictif en disant que c’est impossible. Il y a un livre très intéressant qui s’appelle Utopie et l’auteur, Thomas Bouchet, dit qu’on doit se réapproprier le terme. C’est important de pouvoir visualiser vers quoi nous voulons aller. 

De mon côté, je dis que les utopies sont possibles. Mon utopie est très concrète : que les territoires de montagne soient prévus pour que les déplacements soient soit en transport en commun, soit à vélo. Premièrement, pour limiter notre impact et deuxièmement, pour redéfinir notre rapport à ce territoire et au vivant. Arrêter de considérer que tout nous est dû quand on est en montagne. C’est quelque chose de très concret, comme par exemple dans les Dolomites où ils ferment des fois l’accès aux voitures pour toute une partie des cols. Bien sûr, ce sont des bulles et cela serait faux de dire que c’est la majorité mais ce n’est pas le plus important en ce moment. La théorie du changement social, c’est qu’il faut que 3% de la population change, ce qui pourrait suffire à faire basculer les choses et que cela devienne la nouvelle norme sociale. 

Ce que je porte avec Upossible, c’est que tout le monde peut essayer. Je ne dis pas que tout le monde peut aller grimper tout le temps à vélo ou en train comme moi je le fais, mais par contre, tout le monde peut essayer au moins une fois le temps d’un week-end. Quand on essaye, ça engage les gens dans le changement et ils voient les choses différemment. Ils voient que c’est possible, que c’est chouette et que la sobriété, ce n’est pas du tout quelque chose de contraignant mais plutôt quelque chose qui nous réouvre à ce qui nous entoure. C’est beaucoup plus émancipateur que le mythe de liberté que de posséder une voiture.

Est-ce qu’en montrant l’exemple finalement, vous essayez de faire passer ces messages ?

Éline Le Ménestrel : Il y a toute une dimension artistique dans Upossible et je parle beaucoup d’incarnation, de faire ce que l’on dit profondément. Le changement se produit à partir du moment où il n’y a plus de différence entre la théorie et la pratique. Avant de commencer à utiliser le vélo systématiquement pour me déplacer, je vivais les choses différemment. Après, ça devient une expérience et je sais maintenant que je peux faire ce que j’aime sans détruire. Ça m’apporte un plaisir immense et une satisfaction beaucoup plus grande. Je l’ai vécu donc je sais que ça marche. Alors que si l’on reste dans la théorie, on peut toujours douter. Toucher à l’émotionnel évidemment mais plus que ça, c’est essayer de donner des clés concrètes ou inspirationnelles pour que les gens essayent.

Vous évoquez très souvent l’émancipation et la liberté. Quel est le concept de liberté que vous défendez ?

Éline Le Ménestrel : Je pense que c’est de faire ce qu’on aime sans que ça ne fasse de mal à personne et sans que ça empêche d’autres personnes de faire ce qu’ils aiment. Si je pense à une personne qui prend l’avion et qui va grimper, il fait ce qu’il aime mais ça empêche d’autres personnes de le faire, que ce soit la génération future ou des personnes qui n’ont pas les moyens. 

Aussi, c’est le fait de ne pas dépendre d’un système en lequel je ne crois pas. Je suis consciente que je dépends de l’énergie du soleil, de la photosynthèse, du cycle de l’eau, de la base de la chaîne trophique que sont les plantes, des océans, etc. Être libre, c’est choisir de quoi on dépend. Et moi, j’ai choisi de dépendre de toutes ces choses-là, plutôt que des industries d’énergies fossiles qui maintiennent un système dans lequel je ne crois absolument pas. Je veux pouvoir le faire par mes propres moyens ou par des moyens dans lesquels je crois, typiquement dans les transports en commun. Ça implique la solidarité, le partage, de faire les choses en commun plutôt que dans l’individualisme capitaliste. 

Je pense que si socialement on était plus conscients de ce qui rend notre vie possible, des pollinisateurs, de l’eau, de la lumière, des sols, des vers de terre, on les défendrait mieux. Cependant, il y a surtout un système qui est enclenché pour ne pas qu’on puisse le faire.

Quand vous vous déplacez sur un point de grimpe, quelles sont les étapes que vous traversez ? 

Éline Le Ménestrel : L’aventure pour aller grimper fait partie de la journée d’escalade, c’est ça qui est magique. Les gens pensent qu’on perd du temps quand on se déplace à vélo, mais en fait, on en gagne. Avant, ma journée commençait quand je sortais de ma voiture et maintenant, elle commence quand je sors de chez moi. 

Il y a plein de phases émotionnelles et cela dépend de la nature du voyage. Le vélo est un ascenseur émotionnel qui dépend entièrement de la glycémie. Les moments où tu as assez mangé, tu kiffes. Et les moments où tu n’as plus assez de sucres dans le sang, tu es fatigué et ça te parait hyper dur. Il y a des moments où je me demande : pourquoi je fais ça, pourquoi je retourne dans cet endroit pour essayer cette même voie qui va me défoncer les mains ? Mais après, tu réalises à quel point c’est beau et qu’en venant ici de cette manière, tu défends cette beauté.

Et puis pour les combinaisons train-vélo, la dernière fois que je suis allé dans les Wendenstöcke, on a pris quatre trains différents. Les gares étaient bondées et c’était un enfer parce que le système n’est pas encore organisé pour que cela puisse être fluide. C’était une épreuve mais on en rigolait parce qu’on sait pourquoi on le fait. C’est en le faisant qu’on espère que le système va finir par s’adapter. Quand on est sportif, on aime l’aventure, le challenge, se mettre dans le mal, rater et devoir réessayer. Mais en fait, l’idée c’est de considérer le fait de se déplacer en train avec un vélo comme une aventure. Tout ce que j’aime dans le sport, je vais essayer de l’appliquer dans mon déplacement et trouver des stratégies.

> Découvrir l’ensemble de la série “Nouveaux imaginaires”

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