Dans le premier épisode de notre nouvelle série “Nouveaux Imaginaires”, Ecolosport s’est entretenu avec Guillaume Denos, docteur en Sciences de Gestion et maître de conférences à l’IAE Angers, sur la place de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) et des coopératives au sein de l’écosystème sportif.
Les Nouveaux imaginaires. Voici le sujet de cette nouvelle série d’Ecolosport, qui va s’atteler à repenser de nouveaux modèles pour le sport de demain. Ce n’est un secret pour personne : le modèle sportif que nous connaissons aujourd’hui exerce des pressions qui ont un impact sur les écosystèmes et de facto nos conditions d’habitabilité sur Terre. À la fois victime mais aussi responsable du dérèglement climatique, le sport fait face à des questionnements de taille concernant sa transformation et son adaptation. Relatant les constats et les réflexions d’intervenant(e)s varié(e)s, ces entretiens ont l’ambition de comprendre les enjeux et les solutions liés à l’Économie Sociale et Solidaire jusqu’aux idées de la réduction de nos activités, la décroissance.
Ecolosport : Guillaume, est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Guillaume Denos : Je m’appelle Guillaume Denos et je suis actuellement maître de conférences et enseignant-chercheur à l’IAE Angers, l’école universitaire de management de l’Université d’Angers. J’ai des activités d’enseignement et des activités de recherche, qui sont basées au niveau des organisations, des entreprises, des associations et des coopératives qui évoluent dans l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), que je qualifie comme un mode d’entreprendre.
Il y a des économistes et des sociologues qui décrivent l’ESS comme une “économie du futur réellement existante” ou encore une “utopie réelle”. Est-ce que vous êtes d’accord avec ces propositions de définition ?
Guillaume Denos : Je suis plutôt d’accord avec ces auteurs. Selon moi, je dirais même que c’est dans l’ESS qu’on retrouve, qu’on explore ou qu’on expérimente ces utopies du futur, ces utopies concrètes. C’est dans ces interstices, comme dit Erik Olin Wright (sociologue américain, ndlr), qu’il y a des espaces pour des espaces pour expérimenter et développer ce qui pourrait être le monde de demain. L’ESS est très vaste, très mixte et très diversifiée, où il y a des entreprises, des associations et des mutuelles historiques qui fonctionnent très bien depuis longtemps. Ce sont donc des modèles qui existent depuis toujours et qui continuent de se réinventer.
Dans vos travaux, vous vous intéressez à l’analyse des initiatives à haute valeur sociale et environnementale. Pouvez-vous nous expliquer quel est l’état des lieux et les outils à la disposition de l’écosystème sportif de l’ESS actuellement ?
Guillaume Denos : Je m’intéresse à ces initiatives, que j’appelle les projets d’innovation sociale. C’est une capacité de tous les types d’acteurs à porter des projets qui sont des réponses à des besoins non ou mal satisfaits ou à des difficultés associées aux changements sur le plan social et environnemental. De mon point de vue, l’ESS est comme une boîte à outils avec comme premiers : les statuts juridiques, que ce soit l’association, la mutuelle, la fondation ou la coopérative, avec ses déclinaisons en Société Coopérative et Participative (SCOP) et en Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC).
Il y a plein d’outils dont le monde sportif se saisit déjà, puisque l’essentiel de l’écosystème des clubs de sport est géré par des associations (selon le Centre de Ressources Sport DLA, la France comptait 360 000 sportives en 2022), mais qui pourraient aller plus loin dans des aspects de gouvernance. C’est-à-dire faire participer, plus largement aux décisions, les parties prenantes, que ce soit les usagers, les salariés, les collectivités territoriales, les sponsors ou les entreprises partenaires. Cela fédère beaucoup, et je pense que les outils sont tout à fait adaptés à cela.
Quand on entend innovation, on pense au progrès, à la croissance, à la technologie. Pourquoi parlez-vous d’innovation sociale ?
Guillaume Denos : Le modèle dominant veut que les entreprises continuent de croître et d’être concurrentielles. L’innovation est devenue “un serpent qui se mord la queue” pour les entreprises, c’est-à-dire que plutôt que de mieux répondre aux besoins de leurs clients, elles vont faire de l’innovation pour de l’innovation. Elles vont générer de nouveaux besoins, de nouvelles ventes et vouloir se distinguer. On crée des innovations qui ont des retombées ou des externalités sur le plan environnemental et social qui sont importantes.
L’innovation sociale part du principe qu’on répond à un besoin social pas ou mal répondu dans les conditions actuelles d’un territoire, d’un marché ou d’un pays par exemple. Pour essayer d’y répondre, il faut déjà aller à la recherche du besoin, le comprendre et voir les difficultés sur le plan social et environnemental. Le cas des AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) est un bon exemple. Il y a 30 ans, quelqu’un est venu des États-Unis avec cette idée de passer des contrats en direct avec les agriculteurs du coin. Puis, un groupe de citoyens s’est organisé pour avoir une AMAP dans chaque canton et pouvoir faire vivre les petits producteurs de cette manière. Ce sont des innovations sociales qui partent d’un besoin et qui se développent progressivement. Ce qui est vraiment différent d’une innovation technologique où on a un travail de marché et de marketing très fort qui est mis en place pour mettre au devant cette innovation, et soit ça marche soit ça ne marche pas.
Quelques clubs de sport ont déjà engagé des démarches pour expérimenter la SCIC. Pouvez-vous définir le modèle de la SCIC ?
Guillaume Denos : C’est d’abord une société commerciale, mais qui se dote d’un modèle de gouvernance original, celui de suivre la logique de la coopération. Elle crée plusieurs collèges, qui représentent les parties prenantes autour du projet, qui ont le droit de participer aux décisions. Par exemple, il peut y avoir le collège des salariés, des usagers, des entreprises partenaires et des collectivités territoriales. C’est comme ça que le SC Bastia a essayé de “renaître de ses cendres”, celles du modèle classique de club de foot en difficulté, où il y avait un investisseur unique mais qui ne voyait pas son investissement fructifier suffisamment à cause de la concurrence et des difficultés économiques dans le monde du sport. Et donc, quand un investisseur décide de se retirer, le club est complètement laissé pour compte et n’est plus capable de payer les salaires, d’entretenir un stade, etc. L’idée est de dire que Bastia est un club qui a de bons footballeurs et un staff technique qui sont des salariés du club. Il y a aussi des supporters qui font vivre le club sur le long terme avec une ferveur, des valeurs et qui s’intéressent au club pour ce qu’il génère socialement sur le territoire. Il y a les entreprises du territoire qui voient aussi un moyen de valoriser les activités du territoire, de faire des investissements, de sponsoriser ou de montrer leur image. Et puis, il y a les collectivités territoriales, l’acteur public, qui va vouloir créer une cohésion sociale sur son territoire à travers un club fanion.
Quels sont les points de différence entre les structures classiques, les Sociétés Anonymes Sportives Professionnelles (SASP), et les SCIC dans le sport ?
Guillaume Denos : Ce sont deux entreprises qui peuvent générer du bénéfice mais c’est vraiment la façon dont les décisions sont prises qui est transformée et repensée avec la SCIC. La SCIC est l’outil qui permet à tous ces gens de se retrouver, d’apporter du capital et surtout d’avoir un droit d’appartenir à la décision. Il y a plusieurs collèges qui représentent plusieurs types de parties prenantes et ils ont un poids dans les décisions de la gestion du club. Par exemple, les collectivités territoriales se réunissent avec un représentant des supporters et des salariés pour prendre les décisions sur l’avenir du club, ce qui est radicalement différent d’une gestion de club classique. Autant du domaine privé, comme on peut imaginer les grands clubs avec les investisseurs, ou que pour les tout petits clubs, qui fonctionnent sous forme associative mais qu’on peut vraiment critiquer sur leur transparence et leur système de gouvernance partagée. Même si ce sont des associations, ils vont souvent mettre un(e) président(e) à leur tête et vont parfois avoir des difficultés à partager les décisions et l’information par manque de formation.
Finalement, les SCIC ne seraient-elles pas un outil vraiment efficace ? Si oui, quels sont les freins à son développement dans cet écosystème ?
Guillaume Denos : Pour moi, le modèle des SCIC est un modèle innovant socialement. Ce qui est intéressant avec la question de l’innovation sociale, c’est de la voir se diffuser dans la société. Le modèle des SCIC existe depuis les années 2000 mais il est très peu utilisé. Il y a eu des tentatives dans différents secteurs d’activité et on a vu le sport y prendre part depuis les années 2015, avec Bastia, puis avec Sochaux et avec Bordeaux. On en parle un peu plus, c’est une innovation sociale qui est en train d’émerger et de se diffuser au grand public.
Cependant, il y a plusieurs mythes à déconstruire. On dit déjà qu’une SCIC est très complexe à structurer, à mettre en place et à faire vivre. C’est certainement vrai mais il y a déjà plein de SCIC sur pleins d’autres sujets, comme l’alimentation ou encore le transport, et qui sont très solides. C’est un point important, car en général les coopératives ont une durée de vie plus longue que les entreprises privées capitalistes. S’il y avait de vrais projets à long terme, le sport se rendrait compte que le modèle coopératif permet cette résilience, notamment parce que la décision ne repose pas sur une personne et sur un type de capital. La structure repose sur des capitaux individuels faibles, que les supporters peuvent apporter ; des capitaux plus importants, provenant des entreprises du territoire qui ne vont pas se volatiliser du jour au lendemain ; et les capitaux apportés par les communautés de communes et les collectivités territoriales qui sont des structures très fiables. Tout cela crée une structure beaucoup plus solide sur le plan financier. Il faut donc lever ce mythe et réussir à expliquer que le modèle d’entreprise est risqué. Si on veut voir un club se pérenniser à différents niveaux, ça semble être une bonne solution.
Quelles seraient les étapes préalables, les choses à mettre en place pour engager ces discussions ?
Guillaume Denos : Avant d’être en crise, un petit club, qui est peut-être en train de se développer mais qui a des difficultés, peut réfléchir à devenir une SA dans le sport, ou peut penser à d’autres modèles. Il faut savoir que la plupart des SCIC qui existent sont d’anciennes associations. Dans la boîte à outils, on a des acteurs sur tous les territoires pour accompagner ces transformations et restructurations. Je pense à l’URSCOP (Union Régionale des SCOP et SCIC), qui est le représentant de la structuration et de l’accompagnement des coopératives. Et on a de plus en plus de Coopératives d’Activité et d’Emploi (CAE) qui aident à la structuration d’autres activités sous des formes ESS. L’ESS est aussi organisée dans chaque région sous forme de CRESS (Chambres Régionales de l’ESS), qui sont des guichets d’information.
Si je suis une association et que je réfléchis à ça, je peux toquer à la porte de ces acteurs et ils ont des outils, des conseils, des systèmes d’incubateurs ou des systèmes d’accompagnement pour développer des projets et pouvoir rencontrer d’autres porteurs de projets. Les clubs sont ancrés dans leur territoire et ils ne doivent pas porter leur projet tout seuls, sans s’intéresser à ce qui existe autour.
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