Dans le quatrième épisode de notre série “Nouveaux Imaginaires”, Ecolosport s’est entretenu avec Eric Adamkiewicz, maître de conférences en Management du Sport et Développement Territorial mais aussi responsable du Master Gestion des Équipements et Développement Durable des Territoires (GEDDT) à l’Université de Toulouse, sur le constat et les mécanismes qui entravent une réorganisation du modèle sportif.
Les Nouveaux imaginaires. Voici le sujet de cette nouvelle série d’Ecolosport, qui va s’atteler à repenser de nouveaux modèles pour le sport de demain. Ce n’est un secret pour personne : le modèle sportif que nous connaissons aujourd’hui exerce des pressions qui ont un impact sur les écosystèmes et de facto nos conditions d’habitabilité sur Terre. À la fois victime mais aussi responsable du dérèglement climatique, le sport fait face à des questionnements de taille concernant sa transformation et son adaptation. Relatant les constats et les réflexions d’intervenant(e)s varié(e)s, ces entretiens ont l’ambition de comprendre les enjeux et les solutions liés à l’Économie Sociale et Solidaire jusqu’aux idées de la réduction de nos activités, la décroissance.
Ecolosport : Tout d‘abord, pourriez-vous vous présenter ?
Éric Adamkiewicz : Je m’appelle Éric Adamkiewicz et je suis chercheur à l’Université de Toulouse. Je travaille principalement sur les questions liées à la gouvernance des stations et à la gestion des équipements sportifs et récréatifs de type stades, gymnases, piscines et, au sens large, sur les politiques sportives publiques et sur la question liée à l’événementiel sportif.
Vous êtes responsable d’un master de Management du Sport qui traite entre autres des politiques publiques dans le monde du sport. Quel constat pouvez-vous faire de ces dernières en matière d’environnement et de protection de la biodiversité ?
Éric Adamkiewicz : Elles se raccrochent aux branches, c’est-à-dire que ce sont aujourd’hui des politiques, celles des collectivités principalement, qui commencent à prendre en compte l’aspect environnemental, mais comme ces collectivités ont d’abord un souci budgétaire de gestion de leurs équipements, leur principale obsession c’est : comment faire avec moins d’argent tout en respectant les nouvelles contraintes environnementales qui viennent se surajouter à un contexte économique difficile ? Ce qui fait que l’équation n’est pas simple. Elles y vont contraintes et forcées, mais une partie du monde sportif n’est pas prête à faire sa révolution. Et de façon très schématique aujourd’hui, les acteurs sportifs y vont vraiment en traînant des pieds, même dans les pratiques et sports de pleine nature. Parce qu’il faut changer et revoir l’intégralité du modèle, sur les déplacements, sur les championnats, etc. À part faire le bilan carbone, on n’est pas hyper révolutionnaire sur ces questions-là.
Quels sont les freins qu’ont ces acteurs (publics et privés) à être résistants à un changement ?
Éric Adamkiewicz : D’abord, on ne l’a jamais fait. Et surtout, ça remet en question l’intégralité de l’organisation du sport. Je prends un exemple très simple avec la Fédération Française de Football (FFF). Le président, Philippe Diallo, expliquait l’année dernière qu’ils avaient une politique environnementale qui était d’inciter les clubs à économiser l’eau dans leurs équipements. À part Clairefontaine, qui appartient à la FFF, le reste appartient aux collectivités, donc c’est simplement ne pas consommer d’eau dans les équipements que les collectivités utilisent. Leur souci, c’est : comment faire pour économiser l’eau ? Mais la question n’est pas : comment je change mes championnats, notamment pour éviter qu’il y ait de gros déplacements, qu’on ait une organisation différente qui limite les déplacements en bus ou en voiture individuelle pour les gaz à effet de serre ? Je trouve que ça résume bien la situation.
Est-ce que vous constatez des écarts entre les engagements pris et les actions dans les faits ?
Éric Adamkiewicz : Il faut distinguer ce qui relève des collectivités et des fédérations et/ou associations. Les collectivités ont un problème budgétaire qui est : comment je peux rénover mon parc d’équipements, qui n’a pas été conçu en prenant en compte les aspects environnementaux sur les plus anciens ? (Selon le WWF France, 50% des 60 000 salles de pratique collective françaises ont été construites avant 1987 et sont inadaptées aux fortes chaleurs, ndlr). Ces questions-là sont éminemment économiques et budgétaires avant d’être environnementales. Comment fait-on pour dépenser moins d’électricité et de fioul, avant de dire comment va-t-on protéger la planète ? Est-ce que je change ma pelouse ? Est-ce que je fais du mixte ou du synthétique ? Là, on les perd parce qu’ils n’ont pas complètement intégré. Puis, il y a une partie des acteurs dans les services des sports qui sont encore sur un mode de raisonnement à l’ancienne.
Pour moi, le plus gros problème, il est sur les championnats. C’est là où les fédérations et les associations ont du mal à s’adapter, c’est-à-dire qu’elles ont toujours fait sous cette forme-là. Et si demain, on leur dit qu’il faudra qu’il y ait moins de championnats, moins de rencontres ou avec des organisations différentes, là ça bugue.
En partant de ce constat, quelle serait la meilleure échelle pour faire advenir des changements dans le monde du sport ?
Éric Adamkiewicz : La bonne échelle, ce serait au niveau local. Le problème, au niveau local, c’est d’arriver à ce que les comportements changent, mais les championnats (de district ou de ligue) sont organisés par la fédération. Les calendriers nationaux, les regroupements et les grands championnats, raison pour laquelle les fédérations ont la délégation de l’organisation de la part de l’État, doivent changer leurs modes de sélection et leurs modes de compétition. Mais les fédérations ne le font pas.
Si je prends une analyse rugbystique, on se rend compte qu’au niveau européen, les équipes françaises jouent plus que les équipes irlandaises. Mais accepter l’idée qu’il faudrait peut-être moins de matchs, ça voudrait dire que le TOP 14 devienne un TOP 7. C’est l’organisation des championnats qu’il faudrait revoir, et là, ça pose un problème. On pourrait très bien avoir moins de matchs mais plus valoriser les victoires.
Je pense que la contrainte environnementale va s’imposer de plus en plus. On le voit avec certains athlètes individuels qui refusent d’aller faire des courses dans le reste du monde. Je pense à des marathoniens ou à des trailers qui décident de ne pas participer aux circuits internationaux qui vont en Australie, en Nouvelle-Zélande ou en Amérique du Sud. Pour la Fédération Internationale de Tennis, si elle va se limiter à ses masters, est-ce qu’elle va les organiser une année sur deux ? C’est un gros souci pour les fédérations parce que cela veut dire des rentrées d’argent moindres.
La décroissance commence à émerger dans le débat public mais reçoit de fortes critiques. Quelle est votre définition de la décroissance ? Et que pensez-vous de ce projet de transition et de société ?
Éric Adamkiewicz : La décroissance, ce serait une manière d’organiser l’ensemble du système en préservant l’environnement, en ayant une activité économique raisonnée. Elle est souhaitable, elle va s’imposer et cela va se faire au forceps. Aujourd’hui, on a des acteurs comme la FIFA qui organise ses événements là où il y a de l’argent, c’est-à-dire au Moyen-Orient, en Chine ou aussi en Inde. Ça ne risque pas de bouger avant quelques années, il ne faut pas dire dix ou quinze ans parce que ça peut aller très vite si on est vraiment en situation de crise – ce que je ne souhaite pas -.
Dès que vous abordez la question de la décroissance, pour certains c’est un gros mot. Aborder cette question dans le sport – moins de championnats, moins d’organisations ou des organisations différentes – ça paraît pour certains impensable. Le président de la Fédération Internationale de Ski, qui a fait un excellent exercice de greenwashing cette année, évoquait l’année dernière le fait qu’il y avait une marge de manœuvre importante pour développer le ski en Amérique du Sud, en Océanie et dans les ski-dômes. Ces exemples cochent toutes les cases de la non-décroissance : la pollution, la vision à l’ancienne, la croissance absolue et la recherche de profits à tout prix.
Est-ce que c’est possible de développer une nouvelle réorganisation ?
Éric Adamkiewicz : Une des hypothèses, c’est qu’on va avoir des ruptures. Il y a ceux qui vont maintenir leurs engagements dans des pratiques que je qualifierais de traditionnelles au niveau du modèle et consommatrices d’énergie et éventuellement faire du greenwashing, et ceux qui vont se mettre en rupture en disant qu’ils arrêtent.
Il y a des trails aujourd’hui qui s’arrêtent parce que les organisateurs se rendent compte que l’événement devient trop important, ne correspond plus à l’esprit et en plus, il est impactant pour l’environnement. Donc je pense qu’il va se recréer, à côté, des formes de pratiques sportives et d’organisations d’événements plus responsables, peut-être à plus petite tailles et cela va être un enjeu pour les fédérations pour qu’elles ne perdent pas des licenciés. Mais tant que des personnes continueront de payer pour regarder du football en Arabie Saoudite, ils continueront.
Est-ce que les GESI auraient encore une place dans un monde décroissant ?
Éric Adamkiewicz : Les événements ont un intérêt sociétal, ils peuvent se développer mais ils peuvent changer de forme. L’homme est un animal adaptable qui pourrait très bien faire des événements qui seraient plus responsables. Quand on regarde les Jeux Olympiques d’hiver, une des hypothèses c’est de dire que les JO soient organisés tout le temps à Sapporo. À priori, c’est un territoire qui, d’après les spécialistes en climatologie, aurait la possibilité de garder sa forme de climat plus longtemps que les autres sites. Et puis, cela éviterait de reconstruire d’autres équipements. Le seul problème, c’est que cela irait contre une partie de l’idée olympique, qui est de faire tourner les Jeux. Cela change la philosophie, qui ne tourne pas autour de la pratique sportive mais autour du merchandising et de tout ce qui marque au niveau des JO. On est sur l’optimisation sportive des équipements et une économie raisonnée, et on décide d’y organiser les JO d’hiver tous les 4 ans, comme ça il y a plus de problèmes d’équipements à reconstruire, juste un petit peu d’entretien. Cependant, cela fait longtemps que l’esprit sportif et certains aspects liés au sport ont quitté l’esprit olympique. C’est toujours possible, si on veut, on peut. Mais on ne veut pas !
Et pour les événements nationaux, cela serait pareil ?
Éric Adamkiewicz : La grosse difficulté, c’est que pour ne faire qu’avec du déplacement collectif, c’est très difficile. On a la contrainte environnementale qui pèse, et puis le fait qu’une partie des systèmes de déplacement n’est pas adaptée. On a une réelle difficulté et des contraintes qui font qu’aujourd’hui une partie des acteurs vont dire, en toute logique, qu’ils ne peuvent pas changer le modèle.
Y a-t-il des projets, des initiatives qui existent dans le monde du sport et qui sont compatibles avec les limites planétaires et les engagements climatiques ?
Éric Adamkiewicz : Il en existe peut-être, mais spontanément elles ne me viennent pas. Même quand vous avez une compétition comme l’UTMB qui limite son nombre de participants, c’est plus par rapport à un problème de sécurité qu’à une volonté d’être raisonnable. C’est très difficile de revenir à une version plus soft. On a cette difficulté à concevoir que, pendant des années, cela a été “Big is beautiful”, logique de croissance permanente et infinie, mais on n’est pas encore passé à “Small is wonderful”. La décroissance est considérée comme une régression et ce qui est terrible, c’est qu’on a pas compris que cette décroissance est nécessaire pour la survie.
Est-ce que c’est possible de penser à de nouveaux imaginaires dans le sport ?
Éric Adamkiewicz : Je crois qu’on a oublié depuis très longtemps ce que c’était l’intérêt ludique, le côté festif du sport. On parle de l’imaginaire sportif mais on est surtout sur la production de la compétition et de ses valeurs. Je reprendrai ce qu’avait dit le champion olympique d’escrime Romain Cannone au moment des JO de Tokyo. Il n’était pas qualifié, il arrivait comme remplaçant et tout son discours après sa médaille ça a été de dire qu’il ne s’est pas mis la pression, que c’était que du bonus, que c’était juste pour jouer. Les JO seraient plutôt les “Sérieux Olympiques”. Ils sont festifs avec les cérémonies d’ouverture et les émotions qu’on peut avoir pendant les compétitions, mais où est le jeu ?
Dans le programme du master, y a-t-il des espaces pour traiter de ces sujets ? Et comment voyez-vous évoluer les étudiants sur ces réflexions ?
Éric Adamkiewicz : On traite les aspects environnementaux avec les étudiants et on se rend compte que, pour certains, c’est un vrai questionnement, mais que pour certains autres, y compris dans les années de licence, soit c’est un vrai choc, soit c’est du déni. Il y a une partie des promos qui disent : “Pourquoi ne va-t-on pas beaucoup plus vite ? Pourquoi n’arrive-t-on pas à changer de modèle ?” À ce moment-là, il faut expliquer comment fonctionnent les organisations sportives au niveau fédéral et quels sont les enjeux.
C’est intéressant de voir la réaction des étudiants, on se rend compte que c’est une réflexion qui, parce que le réchauffement climatique est là, commence à marquer encore plus. Le retrait des glaciers, l’utilisation de la neige de culture, même les plus accros au ski et à la montagne commencent à se dire qu’il faudrait quand même qu’on change un petit peu. Et à la fin, ils vous disent qu’il faudrait qu’on change tout.