Passionné de football, Robin Cartier l’est depuis ses 6 ans, âge auquel il enfila ses premiers crampons dans le club de son petit village de la Mayenne. Joueur, éducateur, dirigeant, il connaît très bien le ballon rond et ce dernier l’a toujours guidé dans ses choix de vie. C’est notamment ce qui l’a poussé à suivre des études en management du sport et, aujourd’hui, à être un activiste pour un foot responsable dans un contexte de dérèglement climatique de plus en plus fort. Entretien.
Ecolosport : Comment es-tu passé du statut d’amateur de football à activiste contre les dérives – notamment environnementales – de ce sport ?
Robin Cartier : Le football a toujours pris une très grande place dans ma vie et ce, depuis tout petit. Mais le déclic est venu en 2021. J’étais alors en 3ème année de bachelor en Angleterre. Nous étions en pleine crise COVID et j’ai commencé à prendre une grosse claque sur l’ampleur du dérèglement climatique et de ses impacts présents et à venir. La lecture du rapport de David Goldbatt, Playing against the clock: Global sport, the climate emergency and the case for rapid change n’a fait que renforcer ce constat de la mauvaise direction que prend l’humanité et le sport business. Après cette parenthèse britannique, j’ai un peu voyagé en Europe et c’est lors d’un séjour en Norvège que j’ai eu l’opportunité de suivre un programme dédié au sport et au développement durable.
Je me suis ensuite installé en Suède, où je suis actuellement un Master spécialisé sur la place du sport dans la société. Ce cursus universitaire est en partie basé sur la crise climatique et ses répercussions sur la pratique sportive. Dans ce cadre, je rédige une thèse sur l’intime relation du football avec les énergies fossiles. Le cheminement pour me lancer dans le militantisme et l’activisme a mis un certain temps. Je me suis posé beaucoup de questions mais plus j’avançais et plus je sentais grandir en moi ce besoin de passer à l’action.
Quelle fut ta première action justement ?
Robin Cartier : Elle est assez récente, cela remonte au mois de décembre 2024 où je me suis rendu devant le siège de la FIFA à Zurich pour protester contre l’attribution de la Coupe du monde 2030 sur 3 continents et dans 6 pays différents (Argentine, Espagne, Maroc, Paraguay, Portugal et Uruguay) ainsi que l’édition 2034 en Arabie Saoudite. Un trajet que j’ai accompli en 19h de train depuis Malmö ! Le jour J, j’étais seul dans le froid avec mes pancartes sur lesquelles étaient mentionnés « Stop Coupe du monde Arabie saoudite 2034 », « Le pétrole tue » et « La FIFA tue la planète, les gens, et le football ». J’ai fait face à beaucoup de réticences, notamment de la part de journalistes des futurs pays hôtes qui étaient là pour couvrir l’événement. Je n’ai pas pu me mettre à l’entrée du siège de la FIFA mais j’ai été autorisé à me positionner en face, de l’autre côté de la rue, jusqu’à ce que la police vienne me déloger en fin de journée. J’ai conscience que je combats un géant et que nos visions sont diamétralement opposées.
Quels ont été les retours suite à cette action ?
Robin Cartier : Positifs, je n’ai aucun regret et je suis fier d’avoir pu faire passer ce message. J’ai reçu beaucoup de commentaires encourageants. J’ai été surpris par les retombées médiatiques qui ont dépassé la sphère écologique puisque des médias comme Ouest France, So Foot ou encore 3 journaux suédois se sont intéressé à mon histoire. J’ai également eu un échange intéressant avec l’ancien champion du monde Emmanuel Petit qui m’a encouragé à poursuivre mon combat. Bien entendu, il y a aussi eu des retours et commentaires qui allaient à mon encontre. Ça pourrait être démotivant mais pas assez face à mon leitmotiv qui est d‘agir maintenant car demain, il sera trop tard.
On a vu quelques actions non-violentes de désobéissance civile sur des grands événements sportifs en France (Roland-Garros, TOP 14, Tour de France) de la part du mouvement Dernière Rénovation. Penses-tu que ces interventions ont un réel impact sur le grand public ?
Robin Cartier : Déjà, j’ai envie de dire que c’est triste de devoir en arriver là pour essayer d’éveiller les consciences, alors que nous souhaitons juste protéger la planète et le sport que nous aimons pour les générations futures. Je ne fais pas cela par plaisir, mais par convictions. Je considère que c’est ce qui est juste et qu’il devrait être normal de s’opposer collectivement aux décisions écocidaires mettant en péril notre avenir. Je n’ai pas peur de passer des messages qui peuvent déplaire, il me semble essentiel d’alerter le grand public sur les paradoxes qui persistent.
Ces actions doivent venir compléter d’autres approches différentes sur ces sujets. Nous avons besoin de tous les canaux pour embarquer un maximum de monde. Plus nous serons nombreux, plus nous pourrons programmer des actions collectives et impactantes. J’entends le discours des spectateurs qui vont voir du sport pour se divertir et se sortir des problèmes du quotidien. Cependant, il est urgent que les citoyens soient conscients des enjeux climatiques qui touchent le sport et de leur rôle à jouer. Le sport-spectacle participe activement au dérèglement climatique, que ce soit dans son envie de toujours plus ou encore en acceptant l’argent sale des géants des énergies fossiles comme Aramco, TotalEnergies, Gazprom…
Justement, une centaine de footballeuses avaient rédigé un manifeste au mois d’octobre pour demander à la FIFA de mettre un terme à ce partenariat pour des raisons sociales et environnementales, tu en as forcément entendu parlé ?
Robin Cartier : Oui, c’est une initiative très inspirante. J’étais d’ailleurs en contact avec certaines joueuses à l’initiative de cette démarche. Nous avons besoin de ce type d’actions et que leur message soit porté par les fans de football mais aussi et surtout par les athlètes les plus connus. Imaginez l’impact si un joueur comme Kyllian Mbappé ou Antoine Griezmann se penchait sur ces questions climatiques qui menacent aujourd’hui leur sport ? Malheureusement, le silence du football masculin sur ces sujets persiste alors que la voix de ces joueurs aurait un impact puissant.
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Le rôle des athlètes est important mais je ne remets pas toutes les responsabilités sur eux. Si la FIFA a autant de pouvoir, c’est surtout et à cause des fédérations nationales qui le lui donnent et continuent d’applaudir ses projets. Sans des actions fortes de la part de ces fédérations, Gianni Infantino continuera sa fuite en avant. Prenons l’exemple de la Fédération Française de Football et de son président Philippe Diallo, très bon communicant au demeurant. Ce dernier était présent lors de la présentation de l’excellent rapport du Shift Projet « Décarbonons le sport ».
Lors de cet événement, le discours de Monsieur Diallo était franchement ambitieux et plein de bonnes intentions pour apporter des transformations profondes au foot français. Mais dans le même temps, le 09 décembre dernier le COMEX, par l’intermédiaire de Phillipe Diallo, a voté favorablement à l’attribution de la Coupe du Monde 2030 sur 3 continents et 6 pays et à la tenue de l’édition 2034 en Arabie Saoudite. Comment pouvez-vous, à l’échelle nationale, demander au football amateur de faire des efforts considérables pour diminuer son empreinte carbone et sur le plan international être favorable à l’organisation de compétitions extrêmement polluantes ? N’est-ce pas contradictoire ? Les positions du COMEX de la FFF vis-à-vis de la FIFA nuisent selon moi à la crédibilité de son engagement sur les enjeux climatiques.
Restons sur le financement du sport par les géants des énergies fossiles. Football, rugby ou encore cyclisme, une étude a récemment dénoncé les opérations de sportwashing de ces compagnies pétrolières qui n’hésitent pas à sortir le chéquier pour améliorer leur image. Quel est ton avis vis-à-vis des dirigeants du secteurs sportifs et de leur collaboration avec ces structures ?
Robin Cartier : Je fais partie de l’association Fossil Free Football qui est basée au Pays-Bas. Nous nous battons pour que ces pollueurs sortent de l’univers du ballon rond. Là encore, les dirigeants sont en pleine contradiction. Continuer d’accepter l’argent des énergies fossiles est un véritable cadeau empoisonné dont le sport et nos sociétés payent déjà les conséquences. C’est tout de même impensable que nous puissions encore en 2025 mettre en avant des géants pétroliers sur les maillots ou dans les enceintes de nos clubs favoris. Nous avons été capables de bannir le sponsoring du tabac dans le sport, mais il est encore possible en 2025 d’être soutenu financièrement par des entreprises majoritairement responsables du changement climatique et de la pollution de l’air qui, rappelons-le, est à l’origine de millions de décès chaque année, selon l’OMS. Ce type de partenariat représente une véritable menace pour la santé publique.
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Suite à ton action à Zurich, est-ce que tu as pu avoir des échanges avec des dirigeants de Fédération ?
Robin Cartier : Pas vraiment pour être honnête. J’ai essayé de leur tendre des perches via mes différentes interventions dans les médias suédois et français… En vain. J’ai conscience que mon discours militant peut effrayer et être perçu comme trop radical. Cependant je ne fais et ne veux rien de plus que défendre ce qui me tient à cœur : notre unique planète et le football. Je suis évidemment ouvert à la discussion, cela ne peut être que bénéfique pour tout le monde. Ces dirigeants ont le pouvoir de faire changer et évoluer les choses mais, par leurs comportements contradictoires, ils ne permettent pas au football d’avancer dans le bon sens de l’histoire. Malheureusement, nous approchons de plus en plus des moments où le football se trouvera face à des dilemmes écologiques d’ampleur.
Plus généralement, es-tu plutôt optimiste ou pessimiste face à l’avenir ?
Robin Cartier : Je dirais que je suis surtout réaliste. En m’engageant, en rencontrant des acteurs du changement, en échangeant avec eux, c’est mon moteur pour combattre le pessimisme. Bien sûr, ce n’est pas facile tous les jours, il peut y avoir des moments de découragement mais je me rassure en me disant que j’essaye de faire bouger les choses. Ce qui me désole en revanche, c’est de voir des personnes comme Gianni Infantino être proche de Donald Trump, c’est très inquiétant d’un point de vue environnemental et sociétal pour la prochaine Coupe du Monde 2026. Quoi qu’il en soit, je veux que ce combat perdure et que l’on ne cesse jamais de croire qu’il existe d’autres chemins plus vertueux pour le football.
Pour terminer, quelle est ta vision d’un football responsable ?
Robin Cartier : C’est un football qui connaît ses impacts négatifs et qui fait tout son possible pour les diminuer, et ce, à tous les échelons. C’est un football professionnel qui ne peut plus faire office d’exception et qui se doit de montrer l’exemple. Nous devons clairement mettre un stop à ce besoin de toujours vouloir plus car à force nous risquons de ne plus rien avoir. La sobriété doit aussi être une des raisons d’être de ce sport. Ça ne peut être que bénéfique pour tout le monde. Par exemple, alléger les calendriers, c’est également une revendication des joueurs pour plus de temps de repos et une baisse des risques de blessure. Il faut tendre vers un modèle plus simple, plus sain, plus proche.
C’est aussi un football avec davantage de démocratie, qui appartient au peuple, aux communautés, et non à ces dictateurs qui prennent le football en otage depuis trop longtemps et pour qui la crise climatique n’existe pas. C’est évidemment un football qui s’éloigne des énergies fossiles même si la question des transports demeure un immense défi. Collectivement nous avons encore le choix et la possibilité de réinventer et de sauver le football. De plus en plus, de belles initiatives et pratiques émergent via des clubs, associations, joueurs. C’est un motif d’espoir qu’un jour nous finirons par gagner le match contre le changement ou du moins contre ceux qui nous le font perdre jusqu’à présent.