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Cyril Dion, la boxe et l’écologie comme sports de combat

Cyril Dion, la boxe et l’écologie comme sports de combat
© Franck Loriou
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Poète, écrivain, réalisateur, militant, Cyril Dion fait partie, depuis plusieurs années, des figures de proue des mouvements écologistes et citoyens. Multipliant actuellement les interviews à l’occasion de la sortie de son livre La lutte enchantée et de la ressortie du documentaire « Demain » dans les salles de cinéma à partir du 8 décembre prochain, le cofondateur du Mouvement colibris et du magazine Kaizen nous a accordé quelques minutes de son temps précieux pour nous parler de sport dans un contexte de crises environnementales et sociales de plus en plus marquées. Portrait.

À l’évocation de son nom, peu de personnes y accoleraient le mot « sport ». Pourtant, l’activité physique a toujours été un point d’ancrage pour Cyril Dion. Évoluant en sections sportives au collège et au lycée, le réalisateur de « Demain » pratique le volley durant toute son adolescence et devient même, avec ses coéquipiers à 3 reprises, le champion d’Ile-de-France. Le bac en poche, il déserte les gymnases pour aller transpirer sur les cours de tennis. Et depuis une ou deux années, celui qui combat pour un monde plus juste a décidé de s’initier à la boxe. Un choix de discipline qui peut paraître à rebours de son image, plutôt pacifiste. « Je m’y suis mis par hasard » nous confie le militant. « Je l’ai déjà évoqué plusieurs fois dans les médias, enfant, j’ai été victime de violences sexuelles et ce sport, comme l’escrime par exemple, permettent de revisiter ces traumatismes en protégeant son intégrité, en posant des limites. Il t’aide à trouver la juste distance avec ton adversaire. Cette juste distance, c’est aussi celle que l’on a besoin d’avoir dans la vie, par rapport aux gens, aux événements… Elle te permet de faire face à l’adversité. »

Un parallèle que l’on peut rapidement faire avec notre quotidien et notre capacité à encaisser les coups, sans s’écrouler. Des acquis que Cyril a malheureusement pu expérimenter récemment en prenant une fourbe salve d’attaques de la part de l’extrême droite française et de ses soutiens, qui ont volontairement déformé une comparaison faite entre les décès liés au terrorisme et ceux engendrés par les dérèglements climatiques.

Cyril Dion conçoit le sport comme un facteur d’équilibre moral et physique, « une sorte d’écologie intérieure permettant un bon fonctionnement de notre système ». L’équilibre, il en est aussi question au moment d’aborder les dérives de certaines activités de pleine nature, qui font face à un engouement et un consumérisme grandissant. « Il faut accepter que tout le monde ne puisse pas aller aux mêmes endroits sur les mêmes périodes tout le temps. Sinon, il y a de forts impacts et une pression sur les écosystèmes. » Très rapidement nous viennent en tête les images d’embouteillages humains et d’amas de déchets en haut de l’Everest, quand la consommation prend le pas sur la contemplation.

Le sport et ses dérives

Cyril Dion pratique donc deux sports de combat : la boxe et l’activisme. Cela aurait aussi pu être le fitness, qu’il a failli pratiquer en salle. « C’était une grande chaîne, je me suis rendu pour me renseigner, mais j’ai très vite eu la sensation d’être dans un épisode de la série dystopique Black Mirror. Il y avait cette pièce en sous-sol, éclairée par des néons, sans lumière naturelle, de la musique trop forte et un coach qui encourageait les pratiquant(e)s en leur hurlant dessus… L’horreur. »

À l’image de très nombreux secteurs d’activité, le sport s’est enfermé dans le consumérisme, aux yeux de Cyril Dion. Même s’il reconnaît qu’une partie des adhérent(e)s de ces enseignes sont là pour se dépenser, il souligne celles et ceux qui fréquentent ses lieux sous influence des réseaux sociaux, une sorte de course malsaine à l’apparence et à l’esthétisme mais aussi au culte de la performance et de la conquête.

Cette recherche est aussi vraie pour les sports de nature, et la pratique du trail en est un exemple. Cyril Dion souligne aussi le fait que certains offices de tourisme ou organisateurs d’événements mettent tout en œuvre pour attirer de plus en plus de pratiquant(e)s en promouvant la richesse de leur patrimoine naturel et en même temps participent, par leurs ambitions, à la destruction de ces espaces. « C’est le paradoxe de notre société, tu ne peux pas faire de croissance sans avoir des impacts écologiques. » Un équilibre à trouver sans quoi l’écosystème sportif se mettra, seul, en danger. 

La vulnérabilité du sport face aux pollutions

La sécurité et le réarmement sont actuellement les priorités d’une majorité des décideur(se)s politiques, au détriment des enjeux liés aux dérèglements climatiques. Pourtant, la crise environnementale va forcément engendrer de façon croissante des crises sanitaires. « Lorsqu’un(e) footballeur(se) boit de l’eau contenant des polluants éternels pour se désaltérer, qu’un joggeur(se) respire des quantités de particules fines lors de ses sorties ou encore qu’un(e) joueur(se) de tennis va manger des plats bourrés de pesticides et de microplastiques, il est question de sécurité. Selon Santé Publique France, 40 000 décès sont liés chaque année à la pollution de l’air, et ce chiffre serait sous-estimé d’après certaines études » appuie Cyril Dion.

Pour le militant et poète, les grandes entreprises et leurs alliés mettent en danger des milliards de personnes pour des raisons économiques. Parmi les principaux artisans de cette gabegie, l’industrie pétrochimique et les géants des énergies fossiles – qui investissent massivement dans le sport – sont en première ligne. « Dans un stade, tu vois des bouteilles en plastique partout, alors que les générations précédentes ont connu le verre consigné. Idem pour les emballages alimentaires… Le plastique est là uniquement car il fait gagner plus d’argent à quelques structures. » Et bien que le match peut sembler plié, Cyril Dion garde une part d’optimisme en comparant la situation à « une course de fond durant laquelle il faut trouver un second souffle et être capable de ne pas s’effondrer ».

Pour lui, la casse peut être limitée à condition que les citoyens acceptent de rentrer dans des rapports de force pour contrer ce système. Il compare : « Si quelqu’un te fonce dessus dans la rue avec un couteau à la main, tu vas tout faire pour l’éviter et le désarmer. C’est la même chose avec les grandes entreprises polluantes, il faut agir face à leur volonté de nous détruire. Il y a sûrement un lien à faire avec les arts martiaux ici, avec l’aïkido. Les bloquer et retourner la force contre eux. » Mais en dehors des tatamis ou des rings de boxe, il faut aussi continuer à préparer l’avenir en activant des solutions.

Les solutions de « Demain » transposables dans le secteur sportif

Même si le film « Demain » ne met pas en scène des actions propres au secteur sportif, toutes les solutions proposées peuvent y être dupliquées, selon le réalisateur. On pense aux infrastructures autonomes en énergie grâce à la pose de panneaux photovoltaïques à l’image de la nouvelle tribune du CA Brive, à des entreprises de l’économie circulaire comme NOLT et sa volonté de créer un maillot recyclable à l’infini.

Le film “Demain” fête ses 10 ans et est de retour dans les salles de cinéma – Capture © Mely Productions

Que ce soit dans la gestion des déchets, les mobilités, la démocratisation des monnaies locales ou encore les nouveaux modes de gouvernance, le sport peut trouver inspiration dans ce long métrage. « Nous devons nous réinventer et renoncer. Si tu prends un avion qui va être fortement émetteur de CO2 et participer au dérèglement climatique pour aller te ressourcer dans la nature, il y a un truc qui ne marche pas. Des changements sont à mettre en œuvre en allant chercher l’aventure, l’inattendu, parfois plus près de chez soi que dans une course à la consommation de paysages, de sentiers ou de marathons mythiques… » Une vision très juste : la majorité de l’empreinte carbone du secteur sportif est lié aux déplacements de ses publics. Il paraît donc essentiel d’écrire de nouveaux récits, sans se concentrer sur ce que l’on perd mais plutôt sur ce que l’on va découvrir et gagner. Pour nous et pour les autres.

Réinventer le sport

Dans sa nécessaire transformation, le sport devrait se reconcentrer sur les relations plutôt que sur la compétition, selon Cyril Dion. Il pense notamment aux liens entre partenaires de jeu dans le cadre d’activités collectives ou la reconnexion à la nature pour les pratiques outdoor. « Il y a quelque chose à réécrire en revenant sur un sport ludique, sur l’amusement, le partage, la convivialité, la coopération, la solidarité. Ces valeurs existent toujours mais elles mériteraient d’être remise en avant, plus que la compétition. » Le sport, école de la vie, transmet en effet des éléments fondamentaux : le vivre ensemble, le soutien, l’altruisme mais aussi le sens du jeu. Dans une société de plus en plus fragmentée, où chacun(e) est de plus en plus isolé(e), où les rapports sont de plus en plus tendus, le sport reste un lieu de communion incroyable qui permet de réduire les clivages.

Comme lui disait la regrettée Jane Goodall, « tu ne protèges que ce que tu aimes et tu aimes seulement ce que tu connais ». Ainsi, pour Cyril Dion, les activités de plein air, sous condition de ne pas donner la priorité à la compétition et au dépassement de soi, devraient avant tout permettre de comprendre la nature et les éléments qui entourent les pratiquant(e)s. « Si on prend les grimpeur(se)s, ils ou elles doivent comprendre et écouter ce qui les entoure, leur terrain de jeux. C’est la même chose pour les personnes qui font du ski de randonnée, il faut prendre le temps, sillonner la montagne, s’arrêter, regarder, s’émerveiller. »

Se réinventer, il en est aussi question pour la gouvernance des Grands Événements Sportifs Internationaux (GESI). Prenons les futurs Jeux Olympiques et Paralympiques Alpes 2030 : les habitants des territoires concernés n’ont pas été concertés dans la construction du projet. Le grand artisan de la Convention Citoyenne pour le Climat ne peut que soutenir les reproches faits par les opposants aux Jeux. « Les grandes compétitions sportives ont tout de même des aspects positifs. Elles fédèrent, elles réduisent les clivages. Mais il faut que ces événements laissent le moins de traces possibles. Et c’est en s’appuyant sur les spécialistes, sur les personnes qui connaissent leur lieu de vie, et sur l’intelligence collective, que les organisateurs pourront construire des modèles plus vertueux, écrire un nouveau narratif en partant du territoire plutôt que d’imposer un cahier des charges tout prêt. » 

La question du temps long semble ainsi primordiale pour permettre aux athlètes et au public de ne pas voir l’avion comme l’option numéro un dans leurs déplacements. « La question serait donc : combien de temps octroyons-nous aux athlètes pour se rendre dans un endroit ? Espacer plus ces compétitions est une réponse et en proposer moins pour limiter l’impact en est une autre. Ensuite, il y a plein d’autres solutions à développer, comme ce qui a été fait lors des JOP de Paris 2024, même si tout n’était pas parfait. Je pense à moins construire d’infrastructures en s’appuyant sur l’existant. Sortir du plastique, proposer plus d’alimentation végétale, donner la priorité aux mobilités douces sur site. Tout cela doit désormais être la base. »

N’étant pas épargné par le changement climatique, le monde du sport, qu’il soit professionnel ou amateur, a donc tout intérêt à se transformer et à user de son pouvoir d’influence pour embarquer les citoyens sur le chemin de l’éco-responsabilité. Nul doute que le (re)visionnage du film « Demain » ou encore la lecture du dernier livre de Cyril Dion, La lutte enchantée, seront des sources d’inspiration.

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Ecolosport le PODDCAST explore la façon dont le sport peut contribuer à la réalisation des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) de l'ONU et comment ceux-ci peuvent soutenir le développement du sport.