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De la pelouse aux défilés : les maillots, objets de surconsommation (1/3) – La chemise d’ouvrier est devenue tendance

De la pelouse aux défilés : les maillots, objets de surconsommation (1/3) - La chemise d'ouvrier est devenue tendance
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Longtemps conçu comme une simple tenue de travail, le maillot de football est devenu un symbole aux multiples visages. Des chemises amples et lourdes aux tuniques techniques et stylisées, il se décline désormais en une infinité de versions. Une multiplication qui conjugue succès commercial et impact écologique.

Sans compter les tenues d’entraînement, de coupe et de gardien : 5 clubs de Ligue 1 ont dévoilé 5 maillots différents la saison passée. Un record puisque la saison précédente, seul Lens avait créé autant de tuniques. Troisième et quatrième maillots, éditions limitées, maillots anniversaires : les tenues des joueurs de football ne se limitent plus aux simples maillots domicile et extérieur. Leur nombre se multiplie. En quelques années, ils sont passés du stade aux rues, et des buvettes aux défilés de mode : récit de la globalisation d’une tenue de travail.

Des maillots pour se différencier et s’unir

Un maillot de football, c’est d’abord un objet d’identification. Un moyen de se différencier par rapport à l’équipe adverse. On trouve la première trace de cela à la fin du XIXe siècle, dans les Lois du Jeu, le livre qui édicte les règles du football. L’histoire raconte que lors d’un match opposant Wolverhampton à Sunderland un 26 décembre, en plein boxing day, les 2 équipes portent le même maillot. Une tenue à rayures rouges et blanches. Compliqué pour les joueurs de s’y retrouver, encore plus pour les spectateurs. Si Wolverhampton s’incline 3 à 1, ce match sera à l’origine d’une nouvelle règle : les équipes doivent posséder un jeu de maillots de rechange d’une autre couleur.

Une règle qui existe toujours aujourd’hui puisque l’UEFA, l’organisme chargé d’organiser le football européen, l’a inscrite dans son règlement. “Afin de réduire au maximum le risque de confusion des couleurs, il doit y avoir un contraste clair entre la tenue de jeu principale et la tenue de jeu de réserve des joueurs de champ de chaque équipe”, peut-on lire à l’article 9 alinéa 1. C’est la naissance du maillot domicile, et du maillot extérieur.

Le maillot, au-delà de l’intérêt pratique de différenciation, est un moyen de se reconnaître. On y affiche son blason, celui de sa ville, mais aussi ses couleurs. Alors quand le maillot extérieur devient obligatoire, les clubs inversent simplement les couleurs du maillot domicile. Le second était rouge et noir ? Le premier sera donc blanc et rouge. Il n’est pas question de s’embêter avec une problématique esthétique. Les choix sont de toute façon assez limités. La visibilité étant primordiale pour le jeu : les gris, marrons, verts, couleurs pastels ou délavées sont absents. Si l’on retrouve autant de rayures sur les maillots, c’est parce que le choix des motifs est réduit. De grands dessins circulaires pourraient gêner la vision du ballon en cas de superposition. Ils sont souvent d’une couleur unie. Par respect des règles, mais aussi par simplicité.

Ces maillots étaient reconduits de saison en saison. “Dans les premières années, c’était le cas, les maillots se gardaient chaque année, notamment en 1930, 1940”, explique Chloé Brunel, responsable communication du Stade Lavallois. Certains maillots, parmi les plus mythiques du football, sont restés plusieurs saisons. C’est par exemple le cas des maillots à 3 bandes rouges et bleus ainsi que vert et jaunes du Bayern Munich.

Il y avait le Bayern Munich, mais il y avait aussi d’autres clubs qui gardaient leurs maillots [d’une saison à l’autre]. Il y avait l’Ajax Amsterdam ou Manchester United. Enfin, c’était quelque chose de normal avant. C’est vraiment vers les années 2000 que nous avons vu le changement”, analyse Pierre-Alain Perennou, journaliste spécialisé maillot de football chez Footpack. Les maillots ont été renouvelés de plus en plus souvent, jusqu’à l’être chaque année. “Ce n’est que du business ! s’exclame Bernard Lions, journaliste sportif et auteur de “1 000 maillots de foot”. Avant, tu avais un maillot par saison et la réglementation imposait d’en avoir un deuxième. C’était tout.”

Jamais deux sans trois

L’accélération du renouvellement des maillots de football s’accompagne par une multiplication de ceux-ci. En commençant par l’arrivée du maillot “third”, ou troisième maillot. Sa nécessité apparaît avec la complexification esthétique des tenues. Les motifs sont aujourd’hui plus variés, et comportent plus de couleurs. Et la réglementation interdit aux 2 équipes de partager les mêmes couleurs. Ainsi, si Manchester City affronte Chelsea, et décide de jouer avec son quatrième maillot bleu, rose et blanc, Chelsea devra choisir un maillot n’arborant pas ces couleurs. Son maillot domicile étant bleu et son maillot extérieur étant blanc, le club londonien devra porter son troisième maillot.

Ces cas restent très rares, il faut l’avouer, mais le maillot “third” garde encore un intérêt sportif, de différenciation. Cependant, il commence à être l’objet d’expérimentations esthétiques. “Il y avait un maillot qui était immaculé, qui était intouchable : c’était le maillot du Barça. Il y avait 2 choses : le Barça jouait toujours avec son maillot domicile, et il n’y avait jamais de publicité dessus. En dehors des équipes nationales, c’était un des seuls. Ils se sont rendu compte avec des études de marketing que le fluo attirait les jeunes. Et donc ils ont fini par gagner des Ligue des champions avec des maillots jaunes fluo, oranges fluo. Et ça a fait un carton auprès des jeunes, tout le monde en portait !” explique Bernard Lions.

Quelle est l’origine du succès marketing des maillots “third” ? Est-ce une envie du public de porter des maillots différents ? Ou plutôt une création des clubs et des équipementiers pour augmenter leurs ventes ? Comme en économie, deux courants s’affrontent. “Il y a le courant libéral qui dit que c’est l’offre qui crée sa propre demande. Et il y a le courant keynésien qui dit que c’est la demande qui crée l’offre”, détaille Luc Arrondel, économiste spécialisé dans l’économie du football. Pour lui, la multiplication des maillots de football provient d’un constat simple : les acteurs du secteur “se sont aperçus qu’il y avait une forte demande.” Mais pour d’autres, comme Pierre-Alain Perennou, “c’est du marketing pur ! Je pense que c’est une initiative des clubs et des équipementiers.” L’œuf ou la poule ? Difficile de le savoir.

À chaque occasion son maillot

Cependant, les clubs ne se sont pas contentés d’avoir seulement trois maillots différents. Les quatrièmes maillots sont ensuite apparus. L’intérêt sportif disparaît, et ces tenues sont l’objet d’expérimentations toujours plus poussées. Dans certains cas, les clubs collaborent avec des artistes ou des marques, créant des maillots en édition limitée. Ces derniers s’arrachent à des sommes de plus en plus élevées, alimentant un marché de la collection dont les prix s’envolent.

La forme la plus courante de ces maillots rares ? Les maillots célébrant l’anniversaire du club. Ils mettent en avant son histoire et ses plus grands joueurs. Des maillots exceptionnels ? Un constat de moins en moins vrai. De nombreux clubs dévoilent plusieurs maillots anniversaires par décennie. C’est le cas de Lille qui avait sorti un maillot anniversaire en 2020 pour ses 75 ans, avant d’en dévoiler un nouveau cette saison pour fêter les 80 ans. C’est encore plus vrai à Marseille, où 2 maillots anniversaires sont sortis sur les 3 dernières saisons. L’un pour célébrer les 125 ans du club, l’autre pour les 30 ans de sa victoire en Ligue des Champions.

Plus largement, la saison passée, en Ligue 1, ils sont 11 clubs sur 18 à avoir dévoilé des maillots spéciaux. Toulouse et Paris pour une collaboration avec une marque, Lens et Saint-Étienne pour la Sainte-Barbe, Angers et Montpellier pour Octobre Rose, Brest et Paris pour la Coupe d’Europe. Et enfin Lille, Marseille, Lyon, Monaco, et Montpellier pour leur anniversaire. Sans compter les tenues de gardien, d’entraînement et de coupe, 5 clubs de première division française ont sorti 5 maillots différents.

Tous les événements sont bons pour imaginer une nouvelle tenue, et faire de nouvelles ventes. “Il y a toujours une démarche de communication et de marketing autour des maillots. Avant, c’était simplement une tenue de travail pour les footballeurs” regrette Bernard Lions. Des tenues toujours plus nombreuses et renouvelées tous les ans. En cause : le resserrement des liens entre le sport et la mode. Le maillot, simple chemise d’ouvrier il y a 100 ans, est devenu tendance, suscitant la contrefaçon et le plongeant quelque peu dans la fast-fashion. Alourdissant l’empreinte carbone d’une industrie déjà très polluante.

A suivre, mercredi 13 août : De la pelouse aux défilés : les maillots, objets de surconsommation (2/3) – La puissance du marketing

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