Spécialiste des terrains de sport en gazon naturel, notamment dans le rugby, Christophe Gestain a répondu aux questions d’Ecolosport et fait le point sur la gestion de ces surfaces de jeu à l’heure du changement climatique.
Agronome de formation espaces verts, Christophe Gestain s’est spécialisé depuis une trentaine d’années dans la gestion des terrains de sport. Quoi de plus naturel pour cet ancien joueur de rugby de devenir en 2012 l’expert terrain de la Ligue Nationale de Rugby, puis de la Fédération Française de Rugby depuis 2020 – il intervient d’ailleurs en ce moment sur les 3 matchs du XV de France lors des Quilter Nations Series. Tel un entraîneur qui accompagne un(e) athlète de haut-niveau, Christophe Gestain définit les attendus techniques et biomécaniques, accompagne et conseille les gestionnaires des surfaces de jeu pour qu’elles soient prêtes le jour J ! Mais avec le dérèglement climatique, ce qui était un art se transforme désormais en véritable numéro d’équilibriste…
Ecolosport : Christophe Gestain, pouvez-vous nous expliquer votre rôle au sein de la Ligue Nationale de Rugby et de la Fédération Française de Rugby ?
Christophe Gestain : En 2012, dans une logique de médiatisation croissante des championnats professionnels masculins (TOP 14 et PRO D2), la LNR voulait s’assurer de limiter les reports de match pour cause de terrain impraticable tout en préservant la santé des joueurs. Nous avons donc entamé un état des lieux de l’ensemble des pelouses afin de réaliser une feuille de route pluriannuelle à destination des gestionnaires de stade. L’objectif principal était que l’ensemble des personnes concernées adhèrent à cette logique de progrès et ce, sur l’ensemble des territoires. En 13 ans, l’évolution est très positive avec une bonne prise en compte de ces enjeux de la part de l’ensemble des acteurs. Dans la continuité, je collabore depuis 5 ans avec la Fédération Française de Rugby pour accompagner les structures accueillant l’ensemble des équipes de France. Aujourd’hui, le terrain rentre dans la catégorie des « gains marginaux », une approche venant du rugby à 7. Cela signifie qu’il participe à la performance des joueurs et joueuses. Enfin, il faut aussi répondre aux attentes des diffuseurs qui souhaitent avoir un « rectangle vert » le plus télégénique possible.
En plus de ces différents critères, il faut désormais prendre en compte les phénomènes extrêmes liés aux dérèglements climatiques. Quels en sont les impacts sur les pelouses ?
Les variations soudaines de températures, et notamment les sécheresses, sont la problématique majeure pour le vivant et le végétal. On peut désormais avoir des écarts thermiques allant de 15 à 20°C en quelques heures. Il faut comprendre que nous utilisons majoritairement des graminées de climat tempéré. Elles ont une certaine capacité d’adaptation mais sont moins robustes face aux stress liés à la chaleur et au manque d’eau. Ainsi, les espèces que nous utilisons majoritairement sur nos territoires vont avoir une croissance optimale, entre 15 et 24°C. Au-delà de 24°C, les racines n’évoluent plus et si les températures dépassent les 35°C, les dommages létales sont proches. Si on ajoute à cela un manque d’eau lié à une période de sécheresse, c’est tout simplement une hécatombe. Avant, les techniciens et gestionnaires étaient surtout formés pour faire face à des conditions hivernales, la donne a donc changée. Enfin, il faut aussi prendre en compte les épisodes pluvieux qui sont de plus en plus soudains et intenses. Plus d’humidité dans l’air et dans les sols, c’est un cocktail explosif favorable à la profusion de champignons.
Et quels sont les leviers d’action face à cette situation ?
D’abord, il paraît nécessaire de revenir aux fondamentaux, aux savoirs-faire ancestraux de l’agronomie. Si on reprend la situation de pluies intenses, un terrain qui absorbe l’eau de façon optimal sera bien plus résilient. Cela demande un bon entretien ainsi qu’un accès limité à la surface de jeu. Il est nécessaire que le personnel en charge de l’entretien de ces aires soit formé au base de l’agronomie. Des outils permettent d’optimiser une gestion raisonnée et raisonnable (besoins en eau, aération des sols…). L’optimisation est la clé, il y a tout un équilibre à trouver. Avoir des connaissances ainsi que des compétences techniques approfondies est très important. La recherche va aussi permettre de trouver des nouvelles graminées plus robustes, mais une douzaine d’années sont nécessaires pour les développer. Comme la nature, on est sur du temps long.
Les solutions existent déjà, on les connaît, chaque territoire a des variétés résistantes aux conditions extrêmes locales. On peut par exemple semer des espèces « tropicales » adaptées aux grosses chaleurs et à des taux d’humidité élevés telles que le chiendent ou les paspalum. C’est le cas du stade Louis II de Monaco, ou à Agen, mais ces plantes ne sont pas adaptées à tous les climats. Il faut donc avoir une connaissance accrue du climat local mais aussi de son évolution pour choisir les bonnes plantes. Du bon sens dans les choix des graminées par rapport aux besoins est un bon départ. Pour le sport amateur, avoir un « billard » n’est pas une nécessité et la priorité doit être donnée à la sécurité des pratiquants. Dans ce contexte de changement climatique, nous avons récemment construit avec la FFR un guide des infrastructures éco-responsables avec un gros focus sur les aires de jeu, justement.
Revenons sur les bases de l’agronomie, pourquoi les avoir abandonnées ?
Dans la première moitié du XXème siècle, il y a eu deux guerres mondiales et la priorité était de nourrir les populations. L’agriculture était donc basée sur la production et le rendement. La chimie, par le biais des produits phytosanitaires et les engrais de synthèse, permettait de répondre à ces besoins. La fertilité biologique et la durabilité des sols n’étaient clairement pas pris en compte. Cette logique a déteint sur le secteur sportif. Jusqu’à présent, nous étions dans un modèle intensif « à l’anglaise » où l’aspect visuel du gazon prime alors qu’on peut très bien avoir des terrains magnifiques avec une gestion raisonnée. Heureusement, ces critères sont petit à petit réintégrés dans les réflexions.

L’entretien de terrain sans produit de synthèse est donc possible ?
Tout à fait. Cela passe par une protection et une optimisation des plantes pour qu’elles soient plus résistantes aux agresseurs. La prévention ainsi que l’anticipation en sont les bases. Précisons que l’étymologie de phytosanitaire est « qui protège la plante ». Il existe des solutions de protection et de fertilisation biologiques et naturelles. Prenons l’exemple des pelouses des stades de rugby élite où les agents des mairies et d’entreprises prestataires ont recours de façon très exceptionnelle aux produits de synthèse. Ils sont uniquement utilisés en dernier ressort. Cette approche est promu par des institutions comme la LNR et la FFR. Du côté des gestionnaires, du moins en France, la prise de conscience est assez générale. Là où il n’y a pas d’équipe professionnelle, l’utilisation des pesticides ne fait plus partie des mœurs. Encore une fois, une bonne aération des sols (50%), un arrosage et une nutrition raisonnés et raisonnables font partie des clés du succès.
Concernant le sport professionnel, les institutions et médias ne devraient-ils pas abandonner, ou du moins revoir à la baisse, les exigences esthétiques ?
Ce sont les questionnements actuels. Personnellement, je mets toujours la jouabilité et la santé des joueur(se)s comme les priorités absolues. L’habit ne fait pas le moine, un beau terrain ne fait pas forcément un bon terrain même si l’on doit tout mettre en œuvre pour avoir un bon rendu visuel. Pour anecdote, je me souviens d’un terrain de TOP 14 avec un aspect esthétique plutôt mauvais mais dont la qualité biomécanique (appuis joueurs, absorption des chocs, qualités de course…) était vraiment optimale. Les terrains hybrides sont assez intéressants pour assurer une très bonne praticabilité et ce, même quand les plantes sont en souffrance.
Pour faire des économies (eau, budget, personnel…), certaines collectivités et propriétaires de terrains de jeu se tournent vers les surfaces synthétiques. Qu’en pensez-vous ?
Ce qu’il faut d’abord retenir, c’est que la consommation d’eau pour entretenir un terrain en gazon naturel varie si l’on se trouve à Lille, Toulon ou Bayonne par exemple. En période estivale, ce type de surface nécessite en moyenne 50 m3 par jour, soit 6 000 à 8 000 m3 annuels (l’équivalent de 3 piscines olympiques) mais cette gestion peut être réduite en tendant vers un entretien optimal. Pour un terrain synthétique utilisé toute l’année pour des rencontres « élites », on tourne autour de 2 500 m3. L’été, il est tout de même nécessaire de les arroser car les températures au sol peuvent dépasser les 50°C et donc avoir un fort impact sur la santé des pratiquant(e)s. Sur le papier, une surface naturelle est plus exigeante à l’entretien mais gardons en tête que malgré son empreinte environnementale non-négligeable (arrosage, tonte, luminothérapie…), elle rend des services écosystémiques importants en captant du carbone, en régulant la température et en favorisant la biodiversité sous le sol.
Pour revenir aux terrains synthétiques, reconnaissons qu’ils ont évolué de façon positive. Là où ils étaient auparavant issus à 100 % de la pétrochimie, les fabricants ont désormais recours aux filières de recyclage et de la circularité pour produire une partie des fibres. Concernant les matériaux de remplissage, les petites billes de plastique faites à base de pneus usagés seront totalement interdites en France à partir de 2031. Aujourd’hui, elles sont remplacées par des matières naturelles telles que le liège.
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Si l’on veut intégrer une approche environnementale, vers quel type de surface se tourner ?
Avant tout, il est important d’avoir une approche territoriale et de bien connaître ses besoins. Dans le cas d’une utilisation quotidienne en flux tendu, le synthétique est une bonne réponse, surtout si la collectivité n’a plus de place pour aménager de nouveaux terrains. À l’inverse, dans les territoires ruraux, autant rester sur du gazon naturel. Le synthétique n’est pas une réponse à tout et des études en profondeur sont nécessaires pour faire le meilleur choix (nombre d’associations, nombre d’utilisateurs…). Enfin, une surface en herbe, avec une gestion équilibrée, écologique et sans pesticide ne coûte pas forcément plus cher et, encore une fois, rend des services écosystémiques.





