Étudiant, sportif et actif professionnellement : Yann Scussel aurait pu s’arrêter là et pourtant, depuis ses années lycées, il enchaîne les projets sportifs engagés pour la planète. Iles Fidji et Bahamas pour sensibiliser à la protection des requins, chez lui en Suisse pour sensibiliser à la problématique des déchets et bientôt l’Himalaya… Entretien avec un jeune suisse engagé qui ne s’arrête jamais !
Peux-tu nous raconter ton parcours jusqu’à maintenant ?
Yann Scussel : J’ai fait l’équivalent du lycée en France et je suis maintenant étudiant à l’université de Genève en relations internationales et en sciences de l’environnement. J’ai fait beaucoup de natation de compétition quand j’étais adolescent, c’est là où j’ai eu mon premier contact avec le sport de haut-niveau. J’ai commencé la plongée sous-marine à 17 ans. En Suisse, pour valider le lycée, nous devons faire une sorte de mini-thèse. C’est une trentaine de pages sur un sujet vraiment très libre. J’ai toujours été passionné par l’eau, j’y passais toute ma journée, grâce à mon grand-père qui faisait de la pêche. J’étais curieux de savoir ce qui se passait sous ce miroir de lumière que l’on voit à la surface. Je me suis donc dis que je voulais trouver un sujet en lien.
J’ai effectué ce travail sur une étude comportementale des requins bouledogue aux Îles Fidji. À cette époque, en 2014/2015, à l’Île de la réunion, nous avions ce que les médias appellent « la crise requin » : il y avait beaucoup d’accidents entre nageurs/surfeurs et requins. Je voulais comprendre pourquoi aux Îles Fidji, où il y a la plus grande population de requins-bouledogues, il ne se passe rien ; et pourquoi à la Réunion il y a des problèmes. Je suis donc parti aux Îles Fidji pendant 4 semaines.
J’ai dû trouver des financements, parce que mes parents n’avaient pas les moyens de me le payer. J’ai fait mes premiers pas dans la recherche de sponsors. En rentrant à Genève, j’ai rédigé mon étude et je me suis rendu compte que ça demeurait très théorique. Je voulais sensibiliser les gens de façon plus ludique. J’ai donc commencé ce qu’on peut appeler le sport de sensibilisation : j’ai réalisé un court-métrage, disponible sur Youtube, en repartant, cette fois-ci aux Bahamas avec une équipe de tournage pour sensibiliser la population sur le fait que les requins ne sont pas des « mangeurs d’hommes. »
L’absence de requins peut amener à des catastrophes écologiques, avec par exemple la prolifération d’algues ou même l’acidification des océans.
Était-ce compliqué de trouver des sponsors ?
Yann Scussel : J’étais étudiant, je me suis tourné vers les fondations et les ONGs car je ne me voyais pas privatiser mon projet. J’en ai fait plus de 200 différentes mais à chaque fois on me disait : « non, on ne va pas payer un voyage de plaisir à un étudiant » ou « vous n’avez pas la légitimité ». J’étais dos au mur six mois avant mon départ. J’avais deux choix : soit j’abandonnais mon projet, soit je le privatisais. J’ai commencé par faire du porte-à-porte aux entreprises. Cela n’a pas eu un très bon succès, beaucoup me disaient : « tu es fou » ou « tu n’y arriveras jamais ». Cela m’a donné envie de réussir.
J’ai continué. J’ai commencé à réaliser des partenariats avec des PME pour ensuite, au fur et à mesure, déboucher sur des grandes marques horlogères ou équipementières reconnues. Cela m’a pris une bonne année. Les gens s’imaginent souvent que c’était facile, mais ils ne voient pas tout le parcours qu’il y a derrière. Ce n’est pas évident de tout gérer ensemble, lorsque l’on est étudiant, qu’on travaille à côté, avec les entrainements sportifs aussi… D’autant plus que je tiens à choisir des sponsors avec un certain code de conduite, des sponsors qui ont la même philosophie que moi.
Qu’est-ce qui t’a sensibilisé à l’urgence environnementale ?
Yann Scussel : Je me définirais comme curieux et cette thématique m’intéresse beaucoup. Aux Îles Fidji, nous étions sur des archipels déserts, nous faisions des collectes de data sur des récifs et les plages étaient jonchées de plastique. J’ai trouvé ça incroyable : nous étions à 40km de l’île principale et il y avait des tonnes de plastique. Si nous voyions tout ça, je n’imagine même pas tout ce qui se passe derrière ! Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose.
Raconte-nous ton expérience aux Bahamas, lorsque tu as nagé avec des requins.
Yann Scussel : Le projet des Bahamas a découlé de mon étude comportementale aux Îles Fidji. Je me suis dit qu’il y avait un problème avec la perception qu’ont les individus des requins, qui ne reflète pas la réalité. J’ai donc souhaité partir aux Bahamas car il y a une grande population de requins, qui font plus de cinq mètres et une demi-tonne. Nous avons donc voulu y aller et montrer que ce ne sont pas les « mangeurs d’hommes » dépeint par les médias. Les requins sont une espèce baromètre de la santé des océans. C’est eux qui vont réguler les populations de poissons en éliminant les individus malades et de nombreuses études tendent à montrer que les récifs dénués de requins sont moins sains que ceux où il y en a. L’absence de requins peut amener à des catastrophes écologiques, avec par exemple la prolifération d’algues ou même l’acidification des océans.
Comment as-tu eu l’idée de la descente du Rhône et comment l’as-tu vécu ?
Yann Scussel : Ce projet est né pendant le confinement. Je devais partir pour l’Afrique faire un documentaire sur le Kilimandjaro et les dérives du tourisme de haute altitude. C’était en mars 2020. Malheureusement, les frontières ont fermé, on a dû annuler le projet. Je me suis retrouvé avec une équipe de tournage en Suisse, il fallait trouver un projet que l’on pouvait faire dans nos frontières. C’est là qu’est né le projet de la descente du Rhône. J’avais vu un chiffre qui me hantait : 14 000 tonnes de déchets plastiques finissent dans la nature par an en Suisse, dont 50 tonnes sont déversées dans le lac Léman. C’est terrifiant.
Nous étions à l’embouchure du Rhône quand l’un des photographes de mon équipe de tournage, Dom Daher, m’a dit que ce serait une bonne idée de reproduire métaphoriquement le trajet d’un déchet plastique. Entre cette idée et la réalisation du projet, il n’y a eu que trois semaines, ce qui est vraiment très court. Nous n’avions pas idée de la difficulté, si cela avait déjà été fait ou non – ce n’était pas le cas. Beaucoup me disaient suicidaire, avec les courants et le froid du Rhône. Pour la traversée, j’ai eu un guide, Claude-Alain Gailland. Les premiers 100km ont été très tortueux. J’ai eu très froid : près du glacier, elle était à 2/3°C et elle ne montait jamais à plus de 7°C durant toute la traversée. En hydrospeed, nous faisions une heure dans cette température, pas 29 comme nous l’avons fait… J’étais très proche de l’hypothermie à chaque fois. La nuit fut la plus longue de ma vie : j’ai eu des hallucinations, j’ai vu des crocodiles… J’avais 25kg de matériel.
Ce qui a gardé ma motivation intacte, c’était de me dire que si je ne le faisais pas en une fois, la problématique de la pollution plastique serait moins visible : c’est donc la volonté de sensibiliser qui m’a motivé dans les moments les plus durs. Mais rien n’était écrit : nous avancions par étapes en nous disant qu’il était tout à fait possible de s’arrêter si cela devenait infaisable. Je ne suis pas sorti indemne de cette expérience : j’ai eu mon épaule droite paralysée pendant un mois dû à une sidération musculaire. J’ai également perdu 10kg pendant la descente…
Qu’est-ce que ces expériences t’ont appris ?
Yann Scussel : Beaucoup de choses. À ne jamais baisser les bras, même si des personnes te disent le contraire ou disent que tu n’as pas d’expérience, il ne faut pas abandonner, rester motivé. Cela m’a appris aussi que le changement climatique et la pollution sont des choses réelles. Il faut arrêter de vivre dans le déni. Les populations côtières ont beau être plus touchée par le réchauffement climatique, demain ce sera nous. Il ne faut pas perdre de temps, le processus lié au changement climatique est une machine avec une forte inertie et on ne peut pas l’arrêter comme ça. Il faut redoubler d’effort, malgré le contexte et la multiplication des crises.
Peux-tu nous parler du projet en Himalaya ?
Yann Scussel : Ce projet est né à la suite de la descente du Rhône. C’est mon projet qui a le mieux marché à l’international. Du coup, je me suis dit qu’il faudrait la reproduire mais en version XXL, sur une autre thématique. Le fleuve Brahmapoutre prend naissance dans l’Himalaya et serpente entre les plus hauts sommets de la planète, passe ensuite en Inde et se jette dans le plus gros delta au monde, Brahmapoutre-Gange. Je voulais faire quelque chose par rapport à ce fleuve, car on avait évoqué en cours les nombreuses inondations qui y ont lieu.
Ces catastrophes sont de plus en plus fréquentes et font des milliers de morts à cause du réchauffement climatique. Cela va être compliqué, car le fleuve cumule toutes les complexités qu’on pourrait trouver dans ce genre de projet : c’est le plus grand fleuve de haute altitude, il est très haut, il fait très froid, puis il se dirige dans la jungle indienne, où il fait très chaud et très humide. L’objectif est de réaliser un documentaire sur cette descente, il faudra trouver d’autres partenaires pour m’appuyer sur le projet, car tout ça coûte très cher… Je souhaite faire la descente de ce fleuve qui, là non plus, n’a jamais été tenté, pour sensibiliser au réchauffement climatique et parler de cette thématique à l’international. Il n’y a pas de projet sans problématique, les projets sont là pour les mettre en lumière et pas l’inverse.
Tu fais tout ça en même temps que tes études, ton sport et ton travail ?
Yann Scussel : C’est ça, les journées sont assez remplies ! L’armée aussi, c’est la particularité suisse (rires).
Qu’est-ce que ça signifie pour toi être un « éco-aventurier » ?
Yann Scussel : Je ne me définis pas comme un aventurier, je trouve que c’est un terme fourre-tout. Je me définis plutôt comme un jeune étudiant qui essaie de faire bouger les choses comme il le peut. Je suis conscient que je ne peux qu’agir à mon échelle, je ne suis pas une rock star, juste un jeune suisse, mais à mon échelle j’ai peut-être pu changer quelques mentalités.
Un mot de conclusion ?
Yann Scussel : Il est très important d’agir aujourd’hui pour l’urgence climatique et ne pas remettre à demain. J’aimerais aussi dire aux jeunes que l’on n’a pas besoin de venir d’une famille aisée, d’avoir des pistons pour réussir, que ce soit dans le sport où dans la vie en général, la clé c’est la motivation et se donner les moyens !