Roland-Garros, Tour de France, Ligue 1, TOP 14… Depuis quelques mois, le collectif Dernière Rénovation s’empare des terrains sportifs pour alerter sur la crise climatique. Ecolosport s’est entretenu avec Loïc, un membre du collectif.
Conspué(e)s par les uns, applaudi(e)s par les autres, les militant(e)s de Dernière Rénovation multiplient les actions coup-de-poing non-violentes lors d’événements sportifs télévisés. Nous nous sommes donc entretenus avec Loïc, l’un des membres du collectif de résistance civile, pour comprendre leurs motivations.
Ecolosport : Loïc, pouvez-vous nous expliquer les revendications de Dernière Rénovation ?
Loïc : Avant tout, il faut préciser que c’est une campagne d’initiative civile. Le collectif est né en 2022 avec un message simple : nous souhaitons une accélération du chantier de la rénovation thermique en France avec un objectif de 100% de bâtiments isolés d’ici 2040. Aujourd’hui, le secteur du bâtiment représente 18% des émissions de gaz à effet de serre du pays et 45% de la consommation énergétique nationale. On estime que 12 millions de personnes vivent dans la précarité énergétique dans l’hexagone et qu’environ 10 000 citoyen(ne)s décèdent chaque année, principalement en hiver, du fait qu’elles vivent dans des passoires thermiques.
Ce plan de rénovation serait une première réponse concrète et à la hauteur de la crise climatique dans laquelle nous sommes entré(e)s. L’ONU le rappelle, les scientifiques et notamment ceux du GIEC également, nous devons agir maintenant et de façon significative, il en va de l’avenir de l’humanité !
Pourquoi cibler les événements sportifs ?
La campagne ne cible pas le monde du sport en soit, nous essayons d’intervenir là où il y a de la visibilité médiatique. Nous n’avons rien contre ce secteur, il y a d’ailleurs énormément de fans et de pratiquant(e)s au sein de Dernière Rénovation. Il faut comprendre que dans un monde, ne serait-ce qu’à +2°C, le sport sera profondément impacté, que ce soit dans la possibilité de pratiquer avec des risques sanitaires élevés, dans son organisation mais aussi sur le plan économique. Que ce soit clair, au sein du collectif, nous voulons continuer à vivre des moments de sport avec nos proches, mais à l’heure actuelle, cela paraît de plus en plus compromis. Il faut comprendre que nous ne prenons absolument aucun plaisir à interrompre un événement, qu’il soit culturel ou sportif. Nous sommes toutes et tous des citoyen(ne)s lambda fortement inquiet(e)s par l‘avenir vers lequel nous dirige les décideurs politiques et économiques.

Il y a une grosse prise de risque lorsque que vous faites une action ?
Sur le plan physique, on risque clairement de terminer avec de graves séquelles pour ne pas dire pire…
On ne peut pas leur en vouloir mais les agents de sécurité ne sont pas vraiment formés à intervenir sur une action non-violente donc lorsqu’ils interviennent, c’est souvent de manières fortes pour ne pas dire brutale. Je me répète mais nous sommes de simples citoyen(ne)s. Pour ma part, je suis dirigeant d’entreprise, j’ai des salarié(e)s, au-delà de ma simple personne, c’est la pérennité de ma structure et surtout plusieurs emplois que je mets en danger.
Après mon action lors du Classico PSG-OM en octobre 2022, j’ai été convoqué à un procès. Pendant 6 mois, je devais pointer lors de chaque rencontre du club parisien. J’ai fait plusieurs gardes à vue, comprenez que c’est juste la détresse qui me pousse à faire ça. Des membres sont interdit(e)s de circulation dans certaines villes françaises, d’autres n’ont plus le droit d’exercer leurs métiers. Suite à une action sur un match de TOP 14, mon neveu, fan de rugby, ne comprenait pas l’intérêt d’interrompre une rencontre en s’attachant à des poteaux. J’ai dû lui expliquer que nous faisons aussi ça pour qu’il puisse encore jouer et voir du rugby dans 20 ans.
Le dérèglement climatique va entraîner d’autres crises sociales et économiques extrêmement graves, il y a un moment où ça deviendra tout simplement ingérable. Ces générations poseront alors légitimement la question : qu’est-ce que vous avez fait pour stopper ça quand vous le pouviez ?
Pouvez-vous tout de même comprendre le mécontentement d’une partie du public ?
Oui, j’étais l’un deux il n’y a pas très longtemps, jusqu’à mon déclic. Mais ça m’a pris des années pour assimiler les enjeux liés au dérèglement climatique, la nécessité d’agir mais, franchement, ce n’était pas gagné. Pendant le match, les gens n’ont pas le temps de comprendre : on les interrompt soudainement, c’est normal qu’ils soient mécontents. L’important c’est de leur expliquer ensuite, dans un second temps. Sur le coup, ils et elles resteront braqué(e)s. Mais honnêtement, nous sommes tous dans le même camp, le dérèglement climatique frappera tout le monde, personne ne sera épargné. Ça serait génial d’avoir le soutien des supporters. De voir des personnes expliquer autour d’eux pourquoi il ne faut pas siffler mais plutôt se sentir concerné. Le collectif organise régulièrement des réunions publiques pour expliquer nos actions, pourquoi ça nous embête d’agir de la sorte mais que nous n’avons plus le choix.
Idem pour les organisateurs qui s’exposent à de lourdes amendes de la part des instances gouvernantes ?
De notre point de vue, nous agissons pour protéger les fans de sports mais aussi les organisateurs, les ligues, les fédérations justement. Comme je l’ai déjà dit, dans un monde à +2°C, ce n’est vraiment pas certain que le sport, et d’autant plus le sport-spectacle, ait encore sa place. Peut-être qu’un jour, ces institutions se placeront de notre côté. Dans tous les cas, nous devons tout changer drastiquement si on veut espérer s’en sortir.
Et avez-vous tout de même quelques retours positifs de la part du secteur sportif ?
Lors de notre action sur le Tour de France, certains cyclistes ont dit qu’ils comprenaient le combat, ils ont compris l’enjeu. Dernièrement, deux de nos membres ont été convoqué au tribunal correctionnel de Toulouse suite à la perturbation d’une rencontre de TOP 14. Nous avions eu la bonne surprise de voir un joueur professionnel, encore en activité, témoigner en leur faveur. Plus généralement, quand on prend le temps d’expliquer nos motivations, les gens comprennent mieux et nous soutiennent.
À l’approche des JOP 2024, on imagine que vous devez déjà réfléchir à plusieurs actions…
Bien entendu, nous allons continuer, que ce soit sur le sport, la culture, des monuments, des symboles de la République… Il y a une urgence qui menace l’existence de l’humanité sur terre à court terme. Si rien ne change, la crise climatique va rapidement atteindre un point de non-retour. Le but n’est pas de déranger mais de faire des piqûres de rappel lors de ces grandes manifestations, toujours en respectant le principe de la non-violence. Nous ne sommes pas des terroristes, on ne s’en prend pas physiquement à des individus. Nous voulons juste profiter de la couverture médiatique pour alerter et sensibiliser.
Et il n’y a pas qu’en France que cela se passe, des collectifs sont présents dans 11 pays. Nous essayons de nous coordonner et de proposer des actions conjointes. Aujourd’hui, il suffirait que l’État débourse 12 milliards d’euros pour atteindre ce 100% de rénovation d’ici 2040. L’Assemblée Nationale avait voté ce budget en 2022 avant qu’il ne soit retoqué par le Gouvernement et abaissé à 3,6 milliards, ce qui représente tout de même +1,6 milliards par rapport à la première enveloppe qui était allouée à ce plan de rénovation thermique.