Dans le cinquième épisode de notre série “Nouveaux Imaginaires”, Ecolosport s’est entretenu avec Arnaud Saurois, maître de conférences et responsable du Master 2 Management du Sport à l’université de Poitiers, sur la prise de conscience des enjeux environnementaux dans le mouvement sportif et des recherches associées.
Les Nouveaux imaginaires. Voici le sujet de cette nouvelle série d’Ecolosport, qui va s’atteler à repenser de nouveaux modèles pour le sport de demain. Ce n’est un secret pour personne : le modèle sportif que nous connaissons aujourd’hui exerce des pressions qui ont un impact sur les écosystèmes et de facto nos conditions d’habitabilité sur Terre. À la fois victime mais aussi responsable du dérèglement climatique, le sport fait face à des questionnements de taille concernant sa transformation et son adaptation. Relatant les constats et les réflexions d’intervenant(e)s varié(e)s, ces entretiens ont l’ambition de comprendre les enjeux et les solutions liés à l’Économie Sociale et Solidaire jusqu’aux idées de la réduction de nos activités, la décroissance.
Ecolosport : Tout d’abord, est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Arnaud Saurois : Je m’appelle Arnaud Saurois et je suis maître de conférences associé à mi-temps à l’université de Poitiers et responsable du Master 2 “Management du Sport” en STAPS, et sur mon autre mi-temps, j’ai différentes activités de conseil et de formation, y compris d’entrepreneurs dans le monde sportif. Avant ça, j’ai eu 10 ans d’expérience professionnelle au sein des comités olympiques dans les CDOS (Comité Départemental Olympique et Sportif Français) de la Vienne et de la Charente-Maritime. Ensuite, j’ai été directeur du CROS Poitou-Charente (Comité Régional Olympique et Sportif Français) et j’ai aussi travaillé au CNOSF (Comité National Olympique et Sportif Français) pendant un an et demi avant et un peu après les Jeux Olympiques de Londres.
Vous avez organisé deux tables rondes sur la thématique “Sport et décroissance”. Quelle serait pour vous la définition de la décroissance ?
Arnaud Saurois : Je reprendrais celle de Timothée Parrique, dans son livre Ralentir ou Périr. Il la définit comme “la réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être”. Quand on étudie toutes ces questions, on se rend compte qu’on finira par être dans la décroissance, qu’on le veuille ou non. La question, c’est de savoir à quel moment nous allons la mettre en œuvre ? Soit on va choisir de la faire le plus tôt possible, et donc, on aura un peu de marge de manœuvre pour essayer de faire en sorte que ça soit “agréable”, ou en tout cas pas trop désagréable. Soit on va attendre très longtemps, et forcément, cela sera plus violent. L’expression que j’ai, c’est : “Plus on attend, plus c’est violent.”
Des ingénieurs, comme Jean-Marc Jancovici sur la partie matière-énergie, disent que la décroissance a déjà commencé, quand on mesure des flux physiques, étant donné qu’on a des ressources naturelles limitées sur une planète limitée. Tous les gens un peu sérieux savent que nous n’auront pas indéfiniment du pétrole, du gaz, de l’eau ou du cuivre. Il y a une limite à tout ça, et donc l’idée, c’est d’anticiper. La décroissance, c’est celle qu’on choisirait le plus tôt possible pour que l’on puisse faire en sorte qu’elle soit intéressante pour le plus grand nombre et pour tendre vers du mieux.
Vous évoquez les propos de Jean-Marc Jancovici. Est-ce que vous faites référence à une décroissance contrainte ou choisie ?
Arnaud Saurois : La décroissance que Jean-Marc Jancovici évoque, par exemple sur le transport de biens et de marchandises, est complètement subie. Presque personne ne souhaite encore cette décroissance. C’est encore un gros mot si on entend un certain nombre de nos représentants en parler. Notre croyance est autour d’une croissance qui est la solution à tous nos problèmes économiques et nos problèmes sociaux. On dit même, et le paradoxe est là, qu’il nous faut plus de croissance pour résoudre nos problèmes écologiques et environnementaux. Alors que des spécialistes ont travaillé sur le fait qu’il y a un couplage, et non pas un découplage, entre la croissance économique et la pression sur les écosystèmes. Comme il y a un couplage, on est obligé de ralentir le rythme économique pour ralentir la pression sur les écosystèmes pour qu’ils arrivent à se régénérer.
Comment en êtes-vous arrivé à aborder ce sujet ? Quel a été votre déclic ?
Arnaud Saurois : Pour la partie décroissance, c’est Timothée Parrique en premier, parce qu’il fait partie des personnes qui vulgarisent ce sujet pour le grand public. Mais pas que, il y a aussi Jean-Jacques Gouguet dans le sport qui est intervenu sur la conférence “Sport et Décroissance 2”.
Après, le fait que je m’engage dans cette direction est aussi lié à mon statut d’enseignant et un peu plus tard d’enseignant-chercheur en voyant que j’avais une responsabilité de former dix, vingt, trente ou quarante étudiants par an à faire du management du sport. On est la branche sport-business des STAPS, c’est-à-dire le développement du modèle économique, de la croissance dans le sport et on voit bien les limites. J’avais donc une responsabilité en me disant : est-ce que mon rôle c’est de continuer à former des gens à ce qu’il ne faut plus faire ? C’était l’objet de quelques étudiants d’AgroParisTech sur leur discours de fin d’année. Ils étaient parmi les meilleurs et dénonçaient leur propre formation. Et je me suis dit ce jour-là : “Si un jour je me retrouve avec mes propres étudiants qui me disent la même chose, comment vais-je le vivre ?”
Après ces deux conférences, quelles ont été les réactions du mouvement sportif ?
Arnaud Saurois : La réaction autour de moi n’a pas du tout été négative, au contraire, elle a été plutôt importante et positive, ce qui a été une vraie surprise pour moi. J’étais agent de développement, chef de projet, j’ai accompagné la croissance et le développement du mouvement sportif pendant une dizaine d’années et je continuais de le faire. Je croyais être pris pour un fou, pour quelqu’un qui se radicalise, d’être devenu quelqu’un de plus extrême. Je pensais que j’allais perdre le contact avec une partie de mon réseau professionnel mais paradoxalement, quand on a mis en place avec les étudiants la conférence “Sport et Décroissance 1”, j’ai été extrêmement surpris de la popularité sur LinkedIn, du nombre de personnes, mais surtout du profil des personnes qui likaient et qui montraient de l’intérêt pour cet événement. Ce n’était ni Sport et Développement durable, ni Sport et Transition écologique, c’était Sport et Décroissance !
Je me disais qu’au pire, ils n’allaient rien dire, ou peut-être qu’ils allaient critiquer. Mais non, ce n’était ni l’un ni l’autre ! Finalement, autour de nous, les gens savent. Mais le passage à l’action, même en verbalisant les choses, est extrêmement difficile.
Quel état des lieux faites-vous de l’organisation du sport actuel sur le plan environnemental et politique ?
Arnaud Saurois : Sur la partie sport, je m’aperçois qu’on reste bloqué sur le fait de dire que le sport c’est le bien, que c’est bon pour la santé, la cohésion sociale et pour plein d’autres raisons. On se dit que ce n’est pas à nous de bouger, voire même, que l’on n’est pas le problème, que nous sommes la solution. Là, on voit vite les limites de ce système. On ne peut pas s’en sortir comme ça, il faut à un moment qu’on montre l’exemple. Et puis dans le domaine du sport, il y a quelque chose de spécifique. On n’arrête pas de revendiquer que le sport est bien plus que 16 millions de licences et 2% du PIB. On a une influence très forte dans la société et les influenceurs sur les réseaux sociaux sont parfois des sportifs de haut niveau. On est bien plus que simplement l’activité de loisir ou de divertissement que l’on connaît. Donc, c’est extrêmement positif mais on a aussi une vraie responsabilité. En résumé : comment utilise-t-on le sport pour inspirer un monde plus souhaitable ?
Dans la dimension plus politique, on parle beaucoup de développement durable, de transition et d’adaptation. On essaye de bouger un tout petit peu les curseurs et pendant ce temps, on ne se pose pas les vraies questions : comment change-t-on de manière radicale pour essayer de faire en sorte que ce soit réellement durable ? Pour l’instant, on fait un peu de cosmétique pour avoir bonne conscience mais quand on travaille sérieusement sur la question, on sait que ce n’est pas à l’échelle. Les mots de Timothée Parrique dans Ralentir ou Périr sont presque un clin d’œil au sport. Dans le sport, on ne pense qu’à partir de “Plus vite, plus haut, plus fort”, d’accélération, de vitesse, de performance et d’ultra-performance. On demande de ralentir à des gens dont le but est d’accélérer, d’aller vite. Donc même le discours en lui-même est contradictoire.
De nombreuses initiatives tendent à rendre plus éco-responsables les événements sportifs. Cependant, ils se multiplient à travers le monde. Quel est leur avenir, sur la trajectoire actuelle ? Mais aussi, dans un monde décroissant ?
Arnaud Saurois : Sur la question des grands événements sportifs ou des événements sportifs : plus ils sont grands, plus ils ont un impact. Pour l’instant, toutes les études que l’on réalise sont uniquement sur une des neuf limites planétaires, c’est-à-dire le réchauffement climatique. C’est aussi un des problèmes qu’on a car on s’intéresse assez peu aux autres. Ça commence à se faire au niveau de la biodiversité, avec le rassemblement national au CNOSF cette année, mais globalement on est très focus autour du bilan carbone des événements.
Les quelques travaux qui ont été faits sur les Grands événements sportifs internationaux (GESI) montrent qu’il y a un paradoxe à l’échelle internationale. Ces recherches montrent que pour que les GESI soient plus soutenables, il faut qu’ils soient : moins grands et moins internationaux. C’est assez simple mais personne ne veut l’entendre.
> Voir aussi : VIDEO – Quels GESI pour demain ?
Et à l’échelle plus locale, avec Bruno Lapeyronie et Bastien Viollet, on a mené une réflexion autour des événements sportifs territoriaux. Ça a été de dire que donner plein de solutions pour que chaque événement réduise son bilan carbone de 30% par exemple, ce qui n’est pas négligeable, est une chose. Mais si on a 100 événements qui réduisent de 30%, que dans le même temps, je forme plein de nouveaux étudiants qui en créent d’autres, même à 50% de moins en termes de bilan carbone que les événements d’avant, et qu’on en enlève pas d’autres, au final ça fait plus de pression sur les écosystèmes. Donc ce qui compte, ce n’est pas que chaque événement diminue, c’est plutôt la pression globale de l’addition. Et ça, c’est quand même une forme de régulation qu’on va être obligé d’opérer. Alors, est-ce que c’est une autorégulation ou une régulation différente ? Il commence à y avoir des travaux scientifiques sur le sujet. En tout cas, on ne pourra pas continuer indéfiniment de développer de nouveaux événements et même le sport comme on le fait aujourd’hui.
Connaissez-vous des initiatives et des projets qui relèvent de la décroissance ? Ou qui redéfinissent un nouveau modèle de sport responsable ?
Arnaud Saurois : Si on parle de l’Économie Sociale et Solidaire, je crois qu’on a une partie de la solution dans le monde sportif. Quand on me dit : est-ce que la loi 1901 et le monde associatif sont un modèle du passé ou un modèle d’avenir ? Moi, je suis plutôt optimiste en disant que c’est un modèle terriblement d’avenir. Un modèle qui est local, convivial, où l’on fait ensemble et qui a pour objectif autre chose que le développement économique. Je pense que c’est une belle définition de ce dont on a besoin pour l’avenir. On n’arrête pas de dire que pour notre alimentation, il faut consommer local. Mais pour le sport on a déjà ce format avec des associations, des gens qui se regroupent pour développer une pratique localement, de manière conviviale.
Je résume souvent ça aux 3R : “Ralentir, Réduire, Renoncer”. Parfois, on voit des événements de sport de nature qui font le choix de renoncer en se disant que leur augmentation fait qu’ils ont un impact supérieurement négatif à l’impact positif et que ça ne correspond plus aux objectifs initiaux. C’est un peu la logique qu’on a suivie avant le livre collectif sur les événements sportifs, avec comme conclusion que, plutôt que de mettre en place des tableaux de bord, des éléments quantitatifs, la solution c’est d’aller sur une nouvelle méthode qualitative. En mettant autour de la table les différentes parties prenantes, on se pose les questions de : pourquoi on veut faire l’événement ? Quelles sont les motivations, les enjeux et les objectifs ? Et après l’événement, on fait un moment d’évaluation en se demandant : est-ce qu’au regard des objectifs qu’on s’est fixés ensemble, on les atteint ou pas ? Je crois qu’à partir de ça, on pourrait être amené à sortir un peu d’une spirale du “on fait toujours plus, toujours mieux”. On réfléchit aux motivations initiales des différents acteurs et à cette espèce de fuite en avant qui nous met parfois en danger et en déséquilibre, et au fait qu’on ferait mieux en ralentissant, en réduisant, en renonçant.
Quels sont les accélérateurs mais aussi les freins au déploiement de ces solutions ?
Arnaud Saurois : Des barrières, il y en a beaucoup. La première, c’est notre culture, nos imaginaires. Aujourd’hui, c’est le développement, la croissance, le plus. Peut-être encore plus dans le sport que dans d’autres domaines. On a cette course à l’amélioration quantitative, de vitesse. Après, on a aussi un certain nombre d’éléments qui récompensent cette soi-disant progression, amélioration et grossissement par des subventions, parfois publiques, ou par la recherche de partenaires.
En plus, on se dit que si on ne fait pas +10% chaque année, la dynamique va s’arrêter. Du coup, si tu grandis plus, tu meurs. Je me rappelle de mes cours en économie quand j’étais étudiant, on disait que l’entreprise a vocation à voir son chiffre d’affaires se développer. Donc même sur cette logique-là, on pourrait avoir une réflexion un peu différente. On est pas du tout sur les notions d’équilibre, de stabilité mais plutôt sur un déséquilibre vers l’avant.
Que recommanderiez-vous aux acteurs du mouvement sportif ?
Arnaud Saurois : À l’échelle du sport, on a un champ associatif qui montre qu’on sait faire des choses avec peu de moyens. Je vois aussi qu’il y a beaucoup de sportifs de haut niveau qui essayent de prendre le flambeau. Ce sont de sacrés influenceurs pour essayer de porter le message, souvent sur leur fin de carrière ou juste sur leur retraite, parce qu’avant ça veut dire qu’ils sont obligés de dénoncer le système dans lequel ils sont ou de renoncer à ce pourquoi ils ont fait autant de sacrifices depuis très longtemps. Il y en a qui le font mais j’imagine que c’est extrêmement violent psychologiquement de s’être entraîné aussi dur, d’avoir fait autant de sacrifices pour ne pas suivre l’équipe de France pour aller faire les championnats du monde. Je les trouve extrêmement courageux et ils sont quand même plus nombreux à faire ça.
Le passage à l’acte est un tel changement de son mode de fonctionnement que c’est pour le coup assez violent. Mais je crois qu’on n’est pas aussi isolés et il y a quand même des prises de parole et des moments qui font qu’on en parle de manière plus décomplexée. On voit quand même beaucoup d’initiatives, les incubateurs, l’économie régénérative, mais on a pas encore basculé.
Comment se traduisent ces enjeux dans les cursus universitaires ?
Arnaud Saurois : C’est une question très désagréable, parce qu’aujourd’hui je suis un peu au milieu du gué. Bastien Viollet et moi avons présenté un article à la Société savante de management du sport, sur une première étape de réflexion autour de l’évolution des maquettes des masters Management du Sport. On a analysé l’ensemble des maquettes et on a questionné les responsables de masters sur la place de l’environnement, de l’écologie, du développement durable et de la transition, pour savoir où ils en étaient. On voit bien qu’il y a une prise de conscience, même du “bricolage” en fonction des sensibilités individuelles des uns et des autres. Mais quand on pose la question : est-ce que cette question-là pourrait aller jusqu’à mettre en contradiction un cours qu’on pourrait faire sur l’environnement et tout le reste de la formation ? Rapidement, on est un peu bloqué, parce que soit on bascule complètement pour réorienter la destination, soit on va vivre dans une espèce de système paradoxal où les deux systèmes vivent en même temps et on va avoir des étudiants qui vont nous “tirer les oreilles” en disant qu’il faut qu’on choisisse notre camp. Je prends l’exemple de Matrix, mais c’est un peu la pilule rouge ou la pilule bleue : est-ce que vous voulez continuer votre formation management du sport comme avant ou vous avez envie de savoir un certain nombre de réalités qui font que ça va remettre en question ce pourquoi vous êtes là ?
Pour moi, les deux grandes questions que je peux me poser, c’est que si demain je fais un master Management du Sport dans un monde en décroissance, est-ce que j’ai des étudiants qui voudront venir ? Est-ce que j’aurais des gens pour les prendre en alternance et pour les embaucher derrière ? Si je n’ai pas d’attractivité et si j’ai des étudiants qui ne s’en servent jamais professionnellement, on sera peut-être contents d’avoir raison mais on aura raison tout seuls. Je n’ai pas beaucoup de réponses encore mais ce qui me rassure, c’est qu’on engage cette réflexion à plusieurs, notamment avec les chefs d’université.