Jeudi 16 mars, le Master Management du Sport de Poitiers, sous l’impulsion du Maître de conférences Arnaud Saurois, organisait une conférence sur un sujet encore peu abordé dans le sport : la décroissance. Ecolosport vous propose un résumé des échanges de cette passionnante conférence.
Face à un dérèglement climatique menaçant à très moyen terme les conditions de vie sur Terre et donc la pratique sportive, les intervenants de cette conférence sur le sport et la décroissance, organisée par le Master Management du Sport de Poitiers et Arnaud Saurois, ont pu échanger sur une direction que pourrait prendre ce secteur pour s’adapter à la crise environnementale. Le plateau était composé de la kayakiste Sarah Guyot, de Dimitri Carbonnelle, auteur du livre « 2050, Crash ou Renaissance », fondateur de Livosphère et membre du Shift Projet, de Maël Besson, expert en transition écologique du sport et de Yohan Penel, Président de la Fédération Française de Badminton.
Décroissance ou récession ?
Pour Dimitri Carbonnelle, la croissance a 3 impacts majeurs : un impact environnemental (chute de la biodiversité, crise énergétique, pollution…), l’inflation (augmentation des coûts) et la raréfaction des matières premières et alimentaires. Tout comme la société, le sport est de plus en plus touché par le réchauffement climatique, à l’instar de cet été où la canicule et la sécheresse, qui ne sont plus des faits exceptionnels, ont mis de nombreuses pratiques à l’arrêt, qu’elles soient individuelles ou collectives.
Durant son intervention, le « shifter » a comparé l’augmentation d’un demi-degré de la température mondiale au passage d’un indice 7 à indice 8 sur l’échelle de Richter, avec toutes les conséquences qui en découlent. Rappelons que des pays comme la France sont plus gravement touchés par cette hausse des températures. Alors que l’augmentation à l’échelle mondiale était de +1,25° en 2020, elle était de +2,3° dans l’hexagone. Sur une planète aux ressources limitées et qui sont en plein déclin, la décroissance va donc s’inviter dans notre quotidien. Elle pourra être volontaire – afin de mieux amorcer le choc – ou imposée, ce qu’on appelle plus généralement une récession.
Le sport responsable, victime et contributeur du dérèglement climatique
Maël Besson, à l’initiative du rapport du WWF sur l’impact du réchauffement climatique sur le sport, a emboîté le pas à Dimitri Carbonnelle, en rappelant que ce secteur doit intégrer le plus rapidement possible trois facteurs clés dans son mode de fonctionnement. Son impact environnemental, d’abord, que ce soit par le biais des déplacements (environ 80% de l’impact carbone d’un événement), les pollutions lumineuse et sonore, les déchets ou encore la consommation alimentaire encore trop axée sur la viande, par exemple. Son adaptation aux conséquences du changement climatique, ensuite. Et enfin, les normes sociales que le sport promeut, en prenant comme illustration, et en tant que grimpeur, les nombreux reportages sur les spots d’escalade en Thaïlande. Ainsi, il considère que le secteur sportif est à la fois responsable, victime et contributeur du déclin du vivant sur Terre.
La prise de conscience des sportif(ve)s
De son côté, Sarah Guyot n’a pu que constater l’impact du réchauffement sur sa pratique du canoë-kayak, avec la prolifération des cyanobactéries empêchant la baignade dans les lacs ou la baisse de débit des cours d’eau cet été. Habituée à se rendre dans des destinations lointaines comme l’Australie pour s’entraîner durant la période hivernale, elle a décidé d’adopter une sobriété volontaire, après avoir fait un bilan carbone révélant qu’elle était à plus de 15 tonnes de CO2 par an uniquement sur la partie transport. Pour bien comprendre ce chiffre, si tout le monde vivait ainsi, il faudrait au moins 2 planètes pour fournir suffisamment de ressources pour vivre. Il est aussi bon de rappeler que pour atteindre les objectifs fixés par les Accords de Paris, notre empreinte carbone individuelle doit descendre à 2 tonnes d’ici 2050.
À titre d’exemple, la participante aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Londres en 2012 a fait le choix cet hiver de partir s’entraîner en Espagne plutôt que d’embarquer pour la Guadeloupe avec l’ensemble des équipes de France de sa discipline.
Décroissance : le rôle majeur des institutions
Pour que le changement s’opère rapidement, il faut que les institutions prennent des engagements forts. C’est le cas de la Fédération Française de Badminton. Comme le souligne son Président Yohan Penel, on pense souvent à la compétition lorsqu’on entend le mot « sport ». Ainsi, la FFBaD a décidé de revoir en profondeur sa raison d’être. Les objectifs : influencer positivement les trajectoires de vie et faire en sorte que les pratiquant(e)s soient un peu plus heureux(ses) après avoir fait du badminton.
Dans ce sens, un groupe de travail se penche actuellement sur un concept de performance sociale.
S’inspirant du modèle du Bhoutan, pays asiatique ayant fait le choix de donner la priorité au bonheur de ses habitants avant les intérêts économiques via l’indice de Bonheur National Brut, les instances dirigeantes de la Fédération sont donc en train de développer la notion de Bonheur Associatif Durable. Pour Yohan Penel, « dans une société où l’individualisme est grandissant, la meilleure réponse, c’est le monde associatif qui peut l’apporter. »
Ce dernier souligne aussi le fait que le sport a un rôle important à jouer dans la construction des normes sociales de demain. « Pour l’instant, les événements sportifs vendent comme normalité des SUV, du transport aérien, de la malbouffe… » Selon lui, en s’éloignant de ses valeurs, le sport va se rendre moins attractif. Il paraît donc nécessaire de se reconcentrer sur sa puissance de cohésion, élément important pour surmonter les crises à venir.
Alors que le GIEC, par le biais de son sixième rapport sorti ce lundi 20 mars, a rappelé que les activités humaines (industrielles et économiques) étaient la cause principale du dérèglement climatique, menaçant à court terme les conditions de vie sur terre, la décroissance paraît, aux yeux de plus en plus de personnes, être la meilleure façon de s’adapter pour nos sociétés. C’est dans ce sens qu’Ecolosport vous proposera prochainement une rubrique « Nouveaux terrains », explorant de nouveaux modèles économiques et sociaux pour envisager un avenir et un sport plus heureux.