Isabelle Dhume est la créatrice de la marque Milémil, qui réalise des chaussures de football dans l’hexagone, à Romans-sur-Isère (Drôme). Retour sur le parcours d’une entrepreneuse dynamique, passionnée et pragmatique.
Tout est parti d’une ambition. Celle d’une adolescente, éprise de sport et de travaux manuels, dont la potentielle carrière de skieuse s’interrompt brutalement en raison d’une blessure due à de mauvaises chaussures. « Mon rêve était d’apprendre à créer, à concevoir des chaussures de sport », raconte Isabelle Dhume, aujourd’hui âgée de 42 ans. Originaire de La Mure, au sud de Grenoble (Isère), Isabelle Dhume parcourt quelques dizaines de kilomètres jusqu’à Romans-sur-Isère, ville célèbre pour sa fabrication artisanale de tatanes de qualité, pour débuter ses études. « Suite à mon BTS Métiers de la mode, j’ai intégré une école d’ingénieurs à Lille. J’étais en alternance à Decathlon. Puis je suis revenue à Romans pour travailler dans le secteur du luxe, retrace-t-elle. J’ai ensuite intégré le groupe Lafuma, où j’étais moins dans la conception mais davantage dans l’achat et la négociation. » L’Iséroise ne s’y retrouve pas totalement et se questionne.
Une fabrication revendiquée 100 % française
Une expérience à la Chambre de commerce et d’industrie de la Drôme lui permet de rencontrer des chefs d’entreprise. C’est le déclic : Isabelle Dhume a la fibre entrepreneuriale. « Un jour, j’ai rencontré un passionné de football, collectionneur de crampons, qui me disait que cela faisait 30 ans qu’il n’y avait pas eu de chaussures de football fabriquées en France, que ce n’était pas normal. » Immédiatement convaincue, Isabelle Dhume se lance dans l’aventure en 2014 en s’associant à cet homme, Christophe Pinet.
Milémil fabrique principalement des chaussures de football, made in France, avec du cuir de qualité et doublées par du coton biologique. La société réalise le dessin, le choix et la découpe des matières, le piquage pour assembler entre elles les différentes parties du futur produit. Vient ensuite le temps du montage, de la pose de la semelle et du « cousu Blake », une technique de couture garantissant un maximum de solidité à l’ensemble. L’opération est extrêmement minutieuse. Les lacets sont ensuite ajoutés, les dernières imperfections gommées, les chaussures lustrées une dernière fois avant la mise en vente. Tout un savoir-faire.
L’entreprise commercialise aussi des chaussures de ville et propose de personnaliser ses crampons aux couleurs souhaitées. La Romanaise de cœur ne se définit pas comme une grande connaisseuse du ballon rond, mais apprécie tout de même le jeu à 11, et notamment son côté « supporters » qui « soulève les foules. Les gens s’y passionnent et moi, je suis une passionnée ! »
Étonnamment, Isabelle Dhume ne se définit pas d’abord comme une écolo. Plutôt comme une pragmatique. Ses choix de cheffe d’entreprise, et même son mode de vie, n’en restent pas moins assez exemplaires puisque tout ce qui entoure la fabrication des chaussures est produit localement, de manière responsable. « Mon usine est à un kilomètre de chez moi, donc j’y vais à vélo. Quand je dois transporter des chaussures, j’y accroche un petit chariot. J’utilise du cuir solide pour que mes chaussures soient très durables dans le temps. Quand on se veut éco-responsable, il faut l’être de tous les côtés ! On n’utilise pas des lacets éco-conçus si dans le même temps on fait venir des camions de Chine pour ses prototypes. C’est logique, et plus économique aussi. » Milémil élabore chaque chaussure en petites séries pour « produire au plus juste » et éviter le gaspillage. Dans le même esprit, des modèles sont disponibles en pré-commande.
Un avenir porté vers les féminines ?
Les perspectives de développement de l’entreprise drômoise sont nombreuses. Certaines enseignes bien connues du grand public utilisent depuis peu du cuir végétal, à base de résidus de raisins, pour confectionner leurs chaussures. « Le cuir végétal, ça n’existe pas ! objecte, catégorique, Isabelle Dhume. Aujourd’hui, il n’existe pas de matières végétales naturelles qui possèdent les propriétés du cuir. » Si le terme est réfuté tout net par la technicienne, l’idée de concevoir des produits en matière végétale la séduit franchement : « J’en rêverais… Cela fait 20 ans que je fais des chaussures, et si j’avais pu en réaliser d’aussi résistantes avec des matières naturelles, je l’aurais fait. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Mais celles et ceux qui se servent de matières naturelles ont raison, c’est néanmoins une bonne chose ! »
Pour l’heure, les crampons Milémil ne commencent qu’à la taille 40, excluant de facto une bonne partie des footballeuses. « Je suis une femme et dès le début, je me suis dit que j’allais faire des crampons pour les femmes. En 2015, nous avions lancé une campagne de financement participatif, mais nous n’avions rien vendu, ça n’a pas fonctionné, déplore Isabelle Dhume. Plus récemment, nous avons lancé des pré-commandes mais plus personne ne joue au football en ce moment, alors vendre des chaussures est compliqué. Notre question est la suivante : y a-t-il un marché ? »
La situation pourrait se débloquer dans les semaines à venir… La quarantenaire Isabelle Dhume souhaite lancer un « appel aux bonnes volontés » auprès de femmes intéressées par ce projet pour pouvoir le concrétiser. « Concevoir des chaussures pour les femmes et les juniors, rendre mes chaussures plus performantes… Des axes de développement, j’en ai plein ! Mais toute seule, c’est un peu fatiguant », constate l’entrepreneuse.
Par ailleurs consultante pour de « grandes maisons » comme Babolat, Le Coq Sportif ou Spartoo, et aussi formatrice, Isabelle Dhume a de la suite dans les idées. Elle verrait d’un bon œil d’ouvrir son capital à d’autres acteurs du sport, sans pour autant vendre sa société, et recruter de nouveaux collaborateur·rice·s. Pour continuer à développer sa marque. Pour que Milémil prenne « une autre dimension ». Pour continuer à rêver.