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Stan Thuret, le lanceur d’alerte de la course au large

Stan Thuret, le lanceur d’alerte de la course au large
© Ben Becker
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Il se présente comme cinéaste-navigateur. Il pourrait ajouter militant écologiste à son CV. Stan Thuret a décidé de se retirer pour raisons écologiques de la course au large en février 2023. Avec plusieurs courses mythiques à son compteur – Mini Transat, Route du Rhum, Transat Jacques-Vabre – c’est un navigateur expérimenté qui tire la sonnette d’alarme sur la soutenabilité de sa discipline. Le fruit d’une réflexion de plusieurs mois qu’il raconte dans son livre “Réduire la voilure” aux éditions Robert Laffont. Depuis son bateau, amarré dans le port de Concarneau, il a pris le temps de répondre aux questions d’Ecolosport.

Ecolosport : Comment êtes-vous devenu le fer de lance de la cause climatique dans votre milieu de la voile ?

Stan Thuret : Depuis petit, j’ai grandi en voyant des bateaux de course, ceux du Vendée Globe, de la Solitaire du Figaro… J’ai fini par me décider à naviguer il y a 10 ans seulement, en 2014. En voile, avec de l’énergie, du temps et de l’argent, il est possible de prendre le départ de grandes courses. Mais le travers de ce modèle, c’est le consumérisme. Si je peux faire quelque chose, est-ce légitime pour autant ? N’est-on pas en train de tirer sur une ressource pour une poignée de privilégiés ? C’est une réflexion globale sur la société. La course au large n’est qu’un reflet de la société. Initialement, c’est un sport avec de très belles valeurs mais dévoyées par l’argent. On en veut toujours plus, c’est une fuite en avant technologique mortifère. Moi le premier. Je suis rentré dans la course au large par des chemins de traverse et j’ai fait partie du système, tout en essayant de le faire changer de l’intérieur. Le discours de la course au large qui se dit moins pire que d’autres disciplines, je ne peux plus l’entendre. Si quelqu’un est plus sale que soi, ça légitime qu’on soit sale ? Je ne dis pas qu’il faut tout arrêter du jour au lendemain, ni que je suis moi-même parfait. En renonçant à la course au large, j’ai gagné plus de temps, de maturité intellectuelle, j’ai rencontré des gens incroyables, j’ai écrit un livre… Ce que j’ai gagné ne se compte ni en argent ni en course mais en richesse humaine. Je me sens plus aligné.

Aujourd’hui, vous n’êtes plus un coureur au large ?

Stan Thuret : C’est comme si j’étais Néo dans Matrix. J’ai franchi une barrière. D’un coup, je me suis réveillé et je me suis rendu compte de tout ce que j’avais fait et que ça n’allait pas du tout. J’ai pris une claque. En février 2023, j’annonce arrêter mais cette décision est le fruit d’un long processus et de petits moments-clés que je raconte dans le livre. Aujourd’hui, je ne me reconnais plus dans une course au large qui veut partir au combat, dominer l’océan et ses adversaires, où seule la victoire est belle, où déchirer du matériel n’est pas grave… J’entends parfois des gens dire qu’ils adorent l’océan. Mais ce qu’ils aiment, ce n’est pas l’océan, c’est aller vite et glisser dessus. Aimer l’océan, c’est faire des choix en son sens, être à son écoute. Avoir son jardin, son compost, rouler à vélo, c’est bien mais si son sport c’est tout écraser sur son passage, taper des baleines en plus de consommer beaucoup de carbone, ce n’est pas possible, il faut être droit dans ses bottes. La course au large, rapportée au nombre de visiteurs, a un impact carbone qui se situe entre le Tour de France et les 24 Heures du Mans.

Je serai ravi de revenir un jour dans un jeu qui soit plus soutenable. Mais ça implique d’enlever l’argent, les classements et on fait ça juste parce qu’on aime aller sur l’eau. J’ai grandi en regardant le rugby, un sport que j’adore. Quand je le regarde, ça me perturbe. D’un côté, ils m’emmerdent à compter leurs points et d’un autre, un éclair de génie illumine le jeu et ça m’enthousiasme. Essayons de réinventer les règles pour tous nos jeux. On verrait ainsi les personnes qui sont là pour la beauté du jeu et uniquement pour ça. J’ai l’impression que les autres marins n’ont pas forcément fait le même travail d’introspection que moi sur leur relation à leur sport.

Quand on pense course de voilier, il est difficile de comprendre d’où vient l’impact environnemental de la discipline. Quelle en est la cause ?

Stan Thuret : Comme pour tous les sports, à 75% c’est les transports. On pourrait faire des bateaux totalement recyclables, en fibres naturelles, mais le problème ne serait pas réglé. Il faut déjà arrêter les courses en aller simple avec des personnes qui reviennent en avion et des bateaux qui rentrent en cargo. Il faut arrêter ça et fermer les villages départs des courses. Le Vendée Globe est très fier de l’engouement populaire autour de son événement, c’est très bien. Mais 2 millions de visiteurs, c’est un impact terrible et comment gérer ça ? On peut être un marin hyper impliqué toute l’année mais la simple participation à un tel événement vient alourdir de beaucoup son bilan carbone. 11th Hour Racing a fait un bilan carbone de la construction d’un bateau, c’est environ 600 tonnes d’équivalent CO2. Ce n’est pas énorme en soi, c’est l’équivalent du bilan annuel de 60 Français. Le problème c’est que ça ne s’arrête jamais : le modèle est toujours rendu obsolète par l’innovation technologique suivante. Mon bilan carbone, depuis que j’ai arrêté de faire du bateau, va beaucoup mieux.

> Lire aussi : Carnet de bord de Conrad Colman : le Vendée Globe sans énergie fossile

Le départ du Vendée Globe sera donné dans quelques semaines, irez-vous aux Sables d’Olonne assister au départ ?

Stan Thuret : Non je ne pense pas. Je suis retourné sur les pontons, j’ai des amis qui continuent la compétition. Mais j’ai de plus en plus de mal à me dire que ça va me faire rêver. Cette année va en plus marquer un tournant dans l’histoire comme le premier où toute la flotte aura Starlink à bord. Parfois le temps est long, s’ils s’emmerdent, ils auront accès à Instagram. L’hyperconnexion de l’événement le désacralise. On fait rêver à quoi ? Il y aura 40 bateaux au départ, avec les obligations médiatiques, on aura plus de 2h30 par jour de contenu ! Ce sera la télé-réalité du Vendée Globe. Les bateaux seront complètement fermés, les marins ne sortiront pas dehors sinon pour changer une voile de temps en temps, ils ne sentiront pas les embruns, ils ne verront pas le ciel étoilé. Et puis quand on voit les sponsors… Fast-food, compagnies aériennes, compagnies pétrolières… Ce n’est plus possible ! Initialement, la voile était pratiquée par des punks, des gens qui vivaient dans leur bateau et traversaient des océans après un pari dans un bar. On a bien dérapé. Aujourd’hui, ce n’est que du business.

Inventer un nouveau type de jeu sur l’eau est-il un projet à court ou moyen terme ?

Stan Thuret : Là tout de suite, non. Ça prend du temps et de l’énergie car on remonte le courant. Et puis j’ai pris une rafale de haine lors de mon annonce de février 2023 d’arrêter la course au large. Mais je réfléchis à un modèle. Aujourd’hui, si le Tour de France cycliste qu’on connaît tous existe encore, plein d’événements de gravel ont été créés hors des sentiers battus, sans classement. Ce serait génial de développer ce modèle avec des bateaux. Si mon job c’est d’être sur l’eau et de faire rêver les gens, je n’ai pas besoin d’être en compétition pour le faire. J’ai monté une expédition artistique avec ma copine qui mélange cinéma et musique à la voile. On essaye de déconstruire les schémas classiques. On est allé en Irlande et j’ai eu les mêmes sensations de navigation que si j’étais en course. Mais quand une tempête menace, je n’ai pas la même réaction. Oui je sais naviguer dedans mais à quoi bon ? Je n’ai rien à prouver, je suis humble et je préfère ralentir ou l’éviter car j’ai le temps. C’est tout le sens du titre de mon livre aussi, Réduire la voilure. Il faut prendre le temps de bien faire les choses.

> Lire aussi : Les 10 engagements environnementaux du Vendée Globe

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