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Franck d’Agostini : “Est-ce que le football a les moyens d’être soutenable ?”

Franck d'Agostini : "Est-ce que le football a les moyens d'être soutenable ?"
Franck d'Agostini - © Ipama
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Entretien avec Franck d’Agostini, consultant RSE/RSO au sein d’Ipama, qui vient d’écrire un mémoire sur la soutenabilité du foot. Le football professionnel français peut-il être soutenable ? Éléments de réponse.

Franck d’Agostini est un grand passionné de ballon rond. Entre intérêts personnel et académique, il s’est longuement penché sur les questions économiques, sociales et politiques du football professionnel français. “Ce qui me parle, ce sont les questions d’engagement et d’impact du football sur le territoire” explique t-il. Depuis 2011, il a entamé une carrière dans la RSE appliquée au domaine sportif. Avec des expériences à l’Olympique de Marseille, à l’Olympique Lyonnais ou encore au sein du club allemand du Werder Brême, sa connaissance du milieu était déjà aiguisée. En nourrissant une réflexion sur la fonction RSE au sein des clubs, ses expériences professionnelles l’ont ramené sur les bancs de l’école, au CDES (Centre de Droit et d’Economie du Sport) de Limoges où il prépare un Master. C’est là-bas que voit le jour un mémoire engagé et éclairant qui soulève une question primordiale : “Le football professionnel français peut-il être soutenable ?” Entretien.

Aujourd’hui, quel est l’état du football professionnel français ? Quels sont les potentiels manquements ?

“Le football est pris dans un paradoxe. Il fait partie des sports qui sont relativement en avance sur les questions de soutenabilité économique, sociale et environnementale. Le football se structure progressivement en tenant compte de ces préoccupations. Du fait que ce soit le sport qui a le plus de moyens, c’est celui qui a potentiellement le plus de possibilités d’action et d’impact. Néanmoins, malgré les avancées, la dépendance à un système qui est aussi international reste présente. Ce système fixe le calendrier, le rythme, les normes d’organisation et de fonctionnement, ainsi que les normes sociales autour du spectacle sportif. De toute évidence, ces normes-là ne s’inscrivent pas dans des logiques durables.

Quant aux clubs, ils fonctionnent à des vitesses totalement différentes et des niveaux de compréhension du sujet différents aussi. Pour certains, là où on devrait envisager une transition vers un modèle plus vertueux – voire de la décroissance -, la RSE ne s’applique qu’au fonctionnement d’une fondation d’entreprise qui s’investit sur le territoire. C’est bien, mais ce n’est qu’une partie d’un engagement plus global. Ils passent à côté des questions de décarbonation, de transition et d’évolution du modèle. C’est en ça qu’il reste des efforts à fournir, à la fois à l’échelle du club, mais aussi à l’échelle de l’écosystème sportif de façon générale.

Il faut concrètement se demander : c’est quoi l’industrie du foot aujourd’hui ? La question n’est pas tant de savoir si aujourd’hui le foot est responsable ou non, mais plutôt est-ce qu’il a les moyens d’être soutenable ? C’est une réflexion sur le modèle économique, sa viabilité sur le long terme et l’adaptation au changement climatique. Ce n’est pas un état des lieux. Il s’agit, via ce mémoire, d’essayer d’identifier des leviers d’action face à des lacunes du modèle du football professionnel français. Il faut souligner à quel point il a progressé, en l’espace de 7-8 ans. Énormément de progrès ont été faits. La Ligue de Football Professionnel (LFP), notamment, s’est structurée et a commencé à mettre quelques jalons statutaires, d’organisation et de fonctionnement vis-à-vis de sa Licence Club notamment. Pour autant, est-ce que c’est suffisant par rapport aux objectifs de l’Accord de Paris ? Quant à ceux de la transition et de la décarbonation ? Malheureusement, je crois que non. Il n’est pas question, dans mon propos, d’accabler le football et la LFP mais de s’interroger sur la place qu’occupe aujourd’hui la RSE dans le projet global. À quel point les sujets de transition sont aujourd’hui intégrés à ces fonctionnements à grandes échelles ?”

Comment les différents enjeux économiques, sociaux et environnementaux parviennent à cohabiter ?

“C’est là le centre du problème. L’urgence économique de certains clubs empêche une vision de long terme. Elle empêche aussi l’intégration des priorités que doivent être les questions environnementales, des priorités que pourraient être les questions sociales. On constate qu’il y a des compétitions qui s’ajoutent, des allers-retours à l’autre bout de la planète seulement pour quelques matchs – que ce soit pour des matchs de préparation ou le Trophée des champions au Qatar. On déplace des équipes pour quelques jours, à plusieurs heures d’avion. Ça n’a pas de sens écologique, ni même de sens social. On voit bien que les enjeux économiques sont ici décisionnaires, parce qu’ils sont pensés comme la solution à l’absence de solvabilité des clubs.”

Ecolosport : Quels sont les efforts à faire afin d’inciter les clubs à revoir leur fonctionnement ?

“Il faut doucement essayer de changer d’état d’esprit. Il y a plusieurs approches qui vont s’opposer. D’un côté, certains seront persuadés que la croissance est la solution à tous les problèmes. Ils vont développer de nouveaux produits autour des compétitions, changer l’identité visuelle et la marketer différemment. On va conquérir plus de public, plus de supports, plus d’abonnements, plus de supporters dans les stades. Mais cette logique de développement et de croissance est en train d’éprouver ses limites. L’essentiel des présidents, pour ne pas dire la quasi-majorité, fait confiance en cette poursuite de la croissance. Les logiques économiques, et spécialement la viabilité économique, sont des enjeux de premier plan pour les clubs.”

Est ce que les préoccupations écologiques viennent véritablement bouleverser le football professionnel français ?

“Encore une fois, c’est un vrai paradoxe. À mon avis, il faut laisser du temps. La Fédération a un département d’engagement écologique depuis environ 1 an. Des personnes travaillent sur les questions d’adaptation au changement climatique et d’empreinte environnementale du foot. La LFP, comme la Fédération Française de Football (FFF), participe aux travaux du Shift Project sur la décarbonation. Il y a une ouverture inédite.

Cependant, la réalité économique du modèle des clubs empêche d’ouvrir les yeux sur d’autres réalités. Tant qu’on n’aura pas subi très concrètement les conséquences du réchauffement climatique, de l’érosion de la biodiversité, le passage à l’action sera retardé. Il y a déjà eu des annulations de matchs en Italie, en Angleterre ou encore à Valence ces derniers mois, en raison d’inondations. Le jour où arroser les pelouses sera impossible à cause des restrictions d’eau, ou qu’il y aura des tensions sur les réseaux électriques, peut-être qu’on devra faire moins grandiloquent. Peut être qu’on devra aussi, un jour, travailler sur la provenance des objets de merchandising parce qu’on ne peut pas se permettre d’inclure dans le bilan carbone des choses fabriquées à l’autre bout du monde. Quand tout ça deviendra concret pour le secteur, on devra s’y confronter.”

Qu’est-ce qui, selon vous, permettrait de tendre vers un modèle professionnel français plus soutenable ?

“Il faut beaucoup de choses ! Ce qui semble essentiel, et qui n’est pas anecdotique, c’est la partie statutaire. Lorsque la LFP, une équipe professionnelle ou une fédération intègre dans ses statuts le respect des Accords de Paris, il n’y a pas d’autre choix que d’y parvenir, et ça indépendamment des gouvernances qui se succèdent et des conjonctures économiques. Faire apparaître des questions de soutenabilité dans ces statuts, c’est le début d’un engagement de très long terme. Pour concrétiser cet engagement, il faut que des discours existent au sein des instances, et avec elles, afin de rendre perceptibles les questions de dérèglement climatique, d’érosion de la biodiversité, de changement d’usage des sols, de limites planétaires. Ces discours permettent aussi de synthétiser et faire comprendre l’enjeu des rapports du GIEC. Le football professionnel n’est pas une entreprise philanthropique mais il faut raisonner ce système pour le rendre compatible avec les limites planétaires qu’on connaît aujourd’hui. Je pense que si on arrive à obtenir des grandes lignes directives comme avec le Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC) ou le rapport du Shift Project, ça posera des bases de discussions.

Commencer à agir sur des idées opérationnelles, comme par exemple revoir son alimentation et l’alimentation proposée aux spectateurs, se tourner vers les mobilités douces et étudier les schémas d’accessibilité. Ça peut aussi être de revoir les questions énergétiques. En terme d’organisation événementielle, il y a plusieurs petites choses qui peuvent être expérimentées. Les changements à la marge vont peut-être créer de nouvelles exigences, à la fois chez les spectateurs et les organisateurs, pour conduire à terme à un changement de modèle bienvenu.

Un autre point, qui est à la fois une opportunité et un point de tension, est la capacité d’influence potentielle des clubs. Les clubs véhiculent des imaginaires de consommation. Là, il y a une vraie capacité d’influence. Si on réinvente le sponsoring, les images qui sont diffusées et promues, peut-être que ça influencera les comportements. Il faut réfléchir à l’impact global d’un partenariat. Par exemple, un partenariat avec une compagnie aérienne, même s’il possède une dimension éducative, va nécessairement promouvoir le voyage par avions auprès du public. Aujourd’hui, le modèle tel qu’il est pensé demande des sommes telles, en terme d’investissement et de sponsoring, que seules les entreprises qui sont les plus aisées peuvent se permettre de se positionner. La réglementation pourrait empêcher ça car si demain une loi interdit aux industries les plus carbonées d’être sponsors, ça peut participer à cette transition.”

Retrouvez Franck d’Agostini en librairie

Franck d’Agostini est aussi l’auteur de deux livres, récemment parus. Le premier, Événements sportifs : faut-il les boycotter ?, édité chez ALT, questionne la surenchère du sport-spectacle et pose le boycott comme une solution. Le second, Tout n’est pas foutu !, édité chez Solar, propose 15 raisons d’aimer quand même le football. Il est, aux côtés de 14 autres plumes, co-auteur de ce livre.

Finalement, la prise de consciences des enjeux liés à la soutenabilité du football est un levier d’action primordial. Franck d’Agostini conclut : “Il faut réussir à accélérer parce que bientôt, l’urgence climatique ne tolèrera plus les petits gestes.” Le football professionnel français, ainsi que le monde sportif en général, doivent être acteurs de la transition, afin d’assurer la pérennité des pratiques. “On est dans un monde aux ressources finies, on ne peut pas continuer à croître dans un monde fini. Il faut faire mieux mais surtout faire moins. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on sera dans une véritable transition.”

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