Champion de France avec le Montpellier Hérault en 2012, Jonathan Tinhan a raccroché les crampons à la fin de la saison dernière, après un retour dans son club formateur : Grenoble. Depuis, l’ancien attaquant de Troyes et d’Amiens s’est reconverti et œuvre dans le domaine de la RSE au sein du GF38.
Jonathan, pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?
Je m’appelle Jonathan Tinhan, j’ai 31 ans. Je suis un ancien footballeur professionnel, avec 12 années de carrière. J’ai commencé en professionnel au GF38 (Grenoble Foot 38, ndlr), mon club formateur. Suite à mes deux premières saisons, le club a déposé le bilan, ce qui m’a contraint à partir. J’ai donc signé 4 ans à Montpellier. C’était un bond extraordinaire puisque je suis passé de la lanterne rouge de Ligue 2 au champion de France de Ligue 1. C’était fantastique : arriver à Montpellier et créer la sensation en remportant le championnat dès ma première saison au club ! Par la suite, j’ai perdu un peu de temps de jeu, je souhaitais prendre du plaisir sur le terrain. J’ai été prêté une saison puis j’ai décidé de rejoindre un plus petit club pour remonter. J’ai signé dans un club de National (3e division) avec l’idée que je retrouverais le monde professionnel si j’avais le niveau. J’avais besoin d’enchaîner les matches, c’est ce qui me manquait à Montpellier.
À partir de là, j’ai décidé de reprendre mes études. J’hésitais à abandonner le football professionnel pour me consacrer pleinement à ma deuxième carrière mais mon choix a été de faire des études à distance pour allier football et préparation à ma reconversion. À chaque fois que je signais dans un club, c’était la priorité. Il fallait que les clubs comprennent ma volonté de me former. J’ai eu beaucoup de chance de tomber sur des clubs extraordinaires, ils l’ont très bien pris. Quand je leur disais que j’avais deux semaines de partiels dans l’année, que je ne pouvais pas négocier et que je devais impérativement m’y présenter, je m’attendais à une forme de réticence quand on connaît les enjeux du football professionnel. Au contraire, les dirigeants l’ont très bien accepté, que ce soit à Amiens ou à Troyes. Ils m’ont poussé pour que tout se passe pour le mieux. Je leur en suis très reconnaissant.
Je signe à Amiens, en National, et on monte en Ligue 2. Je relance ma carrière sur la plan sportif avant de rejoindre Troyes, un an et demi plus tard. C’était marrant et atypique car les deux clubs avec qui j’ai partagé une moitié de cette saison (2016-2017) montent en Ligue 1 ! Un souvenir extraordinaire ! J’ai joué 3 saisons à Troyes et puis j’ai senti que c’était la fin d’un cycle, surtout mentalement. J’avais envie de passer à autre chose, d’autant qu’avec mes études, je préparais mon après-carrière et j’avais hâte de me consacrer pleinement à mes futurs projets. J’ai souhaité revenir dans mon club formateur, Grenoble. Tout a été fait pour que je revienne et j’ai mis un terme à ma carrière de joueur à l’issue de la saison dernière.
Comment êtes-vous arrivé à une reconversion à la RSE au sein de votre club formateur ?
Dès que le GF38 a eu connaissance de mon intention d’arrêter, ils ont tout de suite travaillé pour me proposer quelque chose, pour que je reste. Je ne me voyais pas me reconvertir dans le domaine sportif ou commercial. Le club me savait très attaché à l’écologie et aux causes sociales. On m’a proposé ce rôle de conseiller RSE. J’ai accepté directement. Quand j’étais joueur, je participais beaucoup aux actions sociétales organisées avec les enfants malades notamment. On a signé pour une reconversion visant à développer le rôle sociétal du club.
Avez-vous été influencé par des clubs au cours de votre carrière ou votre engagement pour ces causes est inné ?
Dans tous les clubs dans lesquels je suis passé, il y a toujours eu des actions sociales établies. J’étais encore plus impliqué : je n’attendais pas qu’on vienne me voir pour me dire de participer à une action, j’en proposais moi-même. J’organisais des visites à l’hôpital, des collectes de dons avec mes coéquipiers pour acheter des jouets à l’hôpital, à Amiens on a acheté des voiturettes pour l’hôpital… Quand le club ou l’UNFP (Union Nationale des Footballeurs Professionnels : syndicat des joueurs, ndlr) nous proposaient des actions, j’étais toujours le premier à me manifester. Des fois, c’était peut-être trop car je prenais la place des autres (rires). Ils sentaient que ça me tenait à cœur et ils me mettaient dans le lot car j’aurais tout fait pour y être (rires).
Concernant l’écologie, j’y suis sensible depuis toujours mais ça a pris une autre dimension dans mon esprit très récemment. J’ai commencé à regarder beaucoup de reportages sur l’écologie, j’ai lu beaucoup de livres sur ce thème à l’occasion du premier confinement. Le livre de Hugo Clément a été un électrochoc. Tout ce qui est abordé dedans, je le savais. Mais quand on regarde les chiffres, et qu’on est confronté à la réalité, on se dit qu’on ne peut plus faire comme si tout était normal. Je me suis demandé, à mon niveau, ce que je pourrais changer pour contribuer à la préservation de l’environnement. Je n’essaye de convaincre personne, je n’impose rien à personne, mais de mon côté j’ai modifié mes habitudes. Par exemple, j’ai arrêté de manger de la viande, je choisis des produits écologiques, je limite au maximum les produits jetables…
Avec la société que j’ai créée, qui s’appelle Argent&You, on travaille sur des produits écoresponsables avec mon épouse, qui est également réceptive aux problématiques écologiques. J’essaie de faire tous les changements nécessaires, que ce soit dans ma vie personnelle ou professionnelle. Le confinement a été un déclic. Comme je savais que je mettais un terme à ma carrière quelques semaines plus tard, j’en ai profité pour débuter cette modification dans mon mode de vie. Arrêter la viande du jour au lendemain et changer d’alimentation quand on est sportif de haut-niveau, ce n’est pas simple. C’était le bon moment. Je n’avais plus l’obligation d’être aussi exigeant avec moi-même d’un point de vue alimentaire.
Quel rôle jouez-vous au GF38 ? Quelles sont vos missions ?
Je suis conseiller RSE. Nous sommes 3 à travailler sur ce domaine au GF38. On a élaboré un plan d’actions sur la saison. Nos deux axes de développement principaux sont l’écologie et les femmes. Nous souhaitons les mettre en avant, notamment par le biais de notre section féminine. Nous avons créé une vaste campagne de communication sur Octobre Rose, nous prévoyons des campagnes du même type sur les violences faites aux femmes, la journée de la femme… Au niveau écologique, nous avons envie de progresser. Un audit a été réalisé pour identifier des leviers. Nous réfléchissons à trouver des solutions pour réduire les déchets alimentaires pendant les matches, améliorer le tri des déchets, réduire l’empreinte carbone. Le club désire prendre un véritable tournant. Je suis content de faire partie de l’aventure car le GF38 est très réceptif à nos propositions. Dès que nous proposons une action, ils sont favorables et c’est appréciable de pouvoir créer librement.
Au sein du club, avez-vous une approche stratégique de la RSE, par la mesure d’indicateurs de performance, le suivi de guides ?
Pas pour le moment. Nous avons établi un plan pour la saison par rapport aux secteurs que nous voulions cibler : la citoyenneté, l’écologie, les femmes, le soutien au football amateur, l’accompagnement des enfants hospitalisés ou handicapés… La Ligue de Football Professionnel (LFP) propose des activations RSE à chaque club de Ligue 1 et de Ligue 2. Nous les avons incorporées à notre plan d’actions mais nous souhaitions aller plus loin. Ce que propose la LFP, c’est le minimum à faire. Pour l’instant, nous sommes sur des opérations de court terme, pour alerter et sensibiliser les gens aussi, mais cela ne signifie pas que nous n’avons pas de vision sur le long terme. Comme je l’ai évoqué précédemment, le club veut réduire son empreinte carbone mais ça ne se fait pas instantanément.
Quelles actions marquantes avez-vous mis en place ?
La campagne pour Octobre Rose est l’action RSE qui a le plus d’ampleur jusqu’à maintenant. Les joueurs professionnels joueront un match avec des tenues roses (contre Nancy le 24 novembre), nous avons communiqué tout le mois d’octobre avec un maillot d’échauffement rose, un maillot collector a été créé pour l’événement, avec une tombola et une vente aux enchères… Les joueurs ont pu acheter leur maillot et faire le don qu’ils souhaitaient pour reverser à la Ligue contre le cancer. C’est une opération qui implique les joueurs, les supporters et les partenaires. Tout le monde a été impliqué et l’engouement autour de cette action est énorme, et elle n’est pas encore terminée. Nous allons la renouveler chaque année au vu des résultats. Les partenaires et le public sont demandeurs, c’est ce qui manquait au club. Nous souhaitons récolter encore davantage d’argent pour le lutte contre le cancer. 100% de l’argent revient à la Ligue contre le cancer. Les joueurs ont acheté leurs maillots à des prix plus élevés que la normale et tous leurs dons seront reversés. Le club ne conserve aucune partie des dons, et il en sera de même pour les recettes de la vente aux enchères et de la tombola.
Quelle est la place de la RSE au sein du GF38 ?
Tout le monde participe. Nous proposons des projets pensés à 3, mais cela concerne tout un club ensuite. Ils suivent tous, c’est génial. Notre commercial, qui est notre premier relai avec les partenaires, joue parfaitement son rôle en communiquant nos actions à nos sponsors. Parmi eux, certains ont leur propre politique RSE. Nous avons envie les impliquer dans notre propre politique RSE. Le confinement actuel ne nous le permet pas mais nous avions prévu d’organiser une collecte des déchets avec joueurs, joueuses, staff administratif et un partenaire. C’est remis à plus tard mais cela aura bel et bien lieu. Le staff administratif participe aux actions. C’est une manière de leur faire comprendre que la RSE n’est pas uniquement la tâche des joueurs mais de tout l’écosystème d’un club. Ils jouent le jeu et c’est plaisant à imaginer.
Ayant été joueur, votre précédente carrière vous aide-t-elle à créer, penser des actions de développement durable efficaces et adaptées aux contraintes du haut niveau ?
Oui, bien sûr, je peux me mettre à la place des joueurs pour l’avoir vécu. Mes collègues essaient de le faire mais c’est plus facile pour moi. Quand des actions impliquent les joueurs, on me demande mon avis. On a la chance d’avoir une équipe qui joue le jeu. On a même l’impression de ne pas leur en demander assez (rires). Ils sont toujours partants. Ma précédente carrière fait que je sais ce qu’ils peuvent ressentir, les obligations qu’ils doivent respecter, les limites… Mais je suis un ancien joueur et, au final, le dernier mot reviendra aux joueurs. On leur demande toujours leur avis avant de lancer quelque chose. Notre chance, c’est d’avoir un groupe aussi réceptif et impliqué sur les questions sociétales.
En Angleterre, Marcus Rashford fait parler de lui pour l’aide impressionnante apportée aux plus démunis. En France, l’impact de la crise sanitaire risque d’être conséquent, notamment si nous parlons de la précarité. Pensez-vous que des engagements sociétaux de grande ampleur, similaires à ceux du joueur de Manchester United, vont se développer dans les prochains mois, qu’ils soient portés par des joueurs ou des clubs ?
Je l’espère. Plus les années passent, plus les clubs s’engagent. L’UNFP aide énormément les joueurs à mettre sur pied des actions. Je souhaite que sur le long terme, cela devienne l’ADN de chaque club professionnel car c’est indispensable. Il faut que ce soit ancré. L’utilisation de l’image et de la notoriété d’un joueur de foot peut être bénéfique, en entrant dans une nouvelle dimension pour aider les autres, notamment les citoyens les plus en difficulté. Au vu de ce qui se passe dans le monde actuellement, avoir un élan de solidarité, s’entraider les uns les autres, c’est indispensable. Voir que des joueurs peuvent y contribuer, c’est exceptionnel car l’image du footballeur est souvent décriée. Je suis très attentif au travail de Marcus Rashford. Je suis impressionné par ce qu’il réalise et j’espère que d’autres footballeurs de sa renommée vont l’imiter.
Quels sont les projets du club en matière de RSE dans les mois à venir ?
Nous souhaitons créer notre propre fondation à terme, c’est un passage indispensable pour développer au mieux l’impact et l’ampleur de nos actions RSE, pour impliquer davantage nos parties prenantes. Sur le long terme, la ville lance un projet écologique, donc nous allons probablement nous associer pour élaborer des opérations de défense de l’environnement. Nous voulons nous démarquer d’autres clubs et être précurseurs de certaines idées. Nous y réfléchissons. J’aimerais que le GF38 sortent du lot et inspire d’autres clubs à faire la même chose.
Que pouvons-nous vous souhaiter, à vous et au club ?
Pour le club, de continuer dans cette démarche, que le projet global se concrétise. La crise sanitaire complique les choses mais nous poursuivons nos projets. Si la fondation peut être lancée, ça serait une superbe nouvelle. Pour moi, ce serait de continuer à m’épanouir autant dans ma nouvelle vie professionnelle (rires).
Photo à la Une : GF38