Des vagues et des rêves

Il y a, dans le tumulte d’une vague, quelque chose qui rappelle l’élan d’un athlète : une énergie brute, une force en mouvement, une quête d’équilibre. L’océan et le sport partagent ce souffle vital, cette danse entre puissance et fragilité.

Plongée dans cette relation intime, entre sport et océans.

Par Michaël Ferrisi, avec les contributions d’Azaïs Perronin, Flora Artzner, Sanaga et Arthur Le Vaillant

Des enfants courent, ici et là. Quelques cris viennent perturber le chant des vagues, qui rythme la matinée des vacanciers. En ce week-end du 15 août, il fait déjà chaud, mais pas trop, à La Tranche-sur-Mer. Le vent soulève quelques grains de sable, par rafales.

Anna aime courir le long de la Grande plage, dès que sa vie tumultueuse, cadencée par son travail et sa pratique de la course à pied, le lui permet. Elle aime la mer et ses mystères, mais elle ne la connaît pas. Elle croit savoir que les océans façonnent notre monde, régulent le climat, nourrissent des millions de vies et inspirent l’humanité depuis des siècles. Mais elle ne le sait pas vraiment, pas totalement. Pour les sportifs qu’elle croise, les mers et océans sont bien plus qu’un décor : ils sont une source d’évasion et un lieu propice à la pratique de leurs passions. Une houle parfaite pour les surfeurs. Un horizon infini pour les skippers. Un souffle salé pour les coureurs longeant la côte.

Aussi, aime-t-elle regarder celles et ceux qui tentent de l’apprivoiser. Une planche, une aile, un foil, du vent. Elle observe et sourit, fascinée par cette femme qui pratique le kitefoil. Elle semble voler, à quelques centimètres de l’eau. La scène est belle et la vitesse qu’elle atteint fait ralentir les badauds sur la plage, interpellés par cette harmonie furtive entre les éléments, mais quelque peu dangereuse pour la faune marine.

La chute qui suivit fut d'autant plus soudaine. Et violente.

Le brouhaha des touristes s’estompe, les cris des enfants avec. Anna a ressenti le claquement de la chute jusque dans ses os. La kitefoileuse semble s’être pris un mur, l’arrêtant net pour la faire plonger dans l’eau. Elle relève comme elle peut son aile et se laisse ramener vers le bord par les vagues, sonnée. L’instinct amène Anna à stopper sa course et à se rapprocher de la jeune femme, curieuse de comprendre ce qu’il s’est passé. Elle aperçoit alors le foil, entouré d’un imposant sac plastique qui n’est évidemment pas à sa place. “C’est comme un accident de voiture”, lui souffle la sportive, qui peine à reprendre ses esprits.

Les deux femmes poursuivent la discussion, au bord de l’eau d’abord, autour d’un café, un peu plus haut, ensuite. Jade, la kitefoileuse, poursuit, en se touchant l’épaule : “Ce n’est pas la première fois qu’un sac plastique me fait chuter, mais cette fois-ci, c’était rude !” Anna tente de comprendre. Elle savait les mers et océans envahis de déchets d’origine humaine, mais elle ne les imaginait pas ici. “Il y en a partout, c’est de pire en pire” se plaint la locale, qui dépeint alors à Anna un tableau pas si idyllique de l’état des océans, bien au-delà du plastique…

Mieux comprendre

8 millions de tonnes

de plastiques sont déversées dans les océans chaque année dans le monde

soit l’équivalent d’un camion poubelle de plastique par minute, selon le WWF.

L'humeur de Sanaga

Dans chaque Inspiration, le dessinateur Sanaga nous partagera son humeur à travers son coup de crayon, toujours aussi aiguisé !

Anna boit autant les paroles de Jade, que cette dernière a bu la tasse quelques heures plus tôt. Cela fait bientôt trois heures que les deux jeunes femmes papotent. Le café s’est transformé en une généreuse salade composée. À travers le témoignage de Jade, Anna comprend que cet immense terrain de vie vacille. Pollutions plastique, sonore et chimique, réchauffement, acidification, surpêche… L’océan est aujourd’hui en survie, la vie marine est fortement menacée. Avec eux, la magie qu’ils offrent au sport, à ses pratiquants, à ses contemplateurs, est en danger.

Les conséquences sur la vie humaine – et donc sur la pratique sportive – sont nombreuses. Quelle quantité de microplastiques et de polluants chimiques ingérons-nous chaque jour ? Quels problèmes de santé sont déjà dus à cette exposition aujourd’hui et guetteront les baigneurs de demain ? Quel avenir, aussi, pour le club de kitefoil de la Tranche-sur-Mer si l’océan monte d’un mètre ? Un mélange de colère, de désespoir et d’éveil s’empare d’Anna. Elle prend peu à peu conscience de l’urgence de préserver les océans et l’ensemble des écosystèmes marins.

Un silence gêné s’installe alors entre les deux jeunes femmes. C’est au tour de la vacancière d’être sonnée. Après s’être assurée que Jade allait bien, Anna prend la route de son appartement. L’après-midi sera finalement plus studieuse que sportive, avec une quête en tête : comprendre comment le monde du sport peut faire partie de la solution au problème, comment il peut inspirer les citoyens du monde. Car protéger ce grand bleu, c’est protéger la source de toute vie – celle qui nous fait courir, nager, rêver.

C’est naviguer vers un avenir où l’élan des vagues et celui des sportifs continueront de vibrer à l’unisson.

Les athlètes s'engagent

Sport vers le futur Morgan Bourch'is Plongée Apnée Ecologie Ecolosport

Vous avez un nouveau message... de Flora Artzner

Dans les vagues et les rêves d'Arthur Le Vaillant

« Ma relation à l’Océan est charnelle. Tout mon corps, mon âme, mon esprit sont à l’écoute de mon voilier. Dans la nuit noire, je ne vois plus : je ressens. L’équilibre, la vitesse, la houle sous mes fesses. Régler un génois, reprendre du chariot de grand-voile, vérifier si des algues freinent la quille. Douter. Puis voir les concurrents, pas si loin, et sourire : la vitesse n’est pas si mauvaise.

Il est beau, ce sport. Mais il ne doit pas perdre pied.

En mer, l’émerveillement est constant. Un souffle au loin. Des dauphins qui bondissent à l’étrave. Des globicéphales qui glissent sous la coque. Ces instants sont magiques. Ils nous connectent à la part de sauvage qui existe en nous, à ce que la terre ferme de nos maisons tout confort endort, et réveillent nos sens : l’ouïe, le toucher, l’équilibre, l’instinct. Je suis un marin mammifère. Et quand je croise des cousins mamifères marins, j’ai le sentiment d’appartenir à la même planète bleue.

Mais parfois, nos routes se croisent brutalement. Une collision. Un choc. Un cétacé blessé ou tué. Cela arrive. Moins souvent que dans la pêche ou le transport maritime, mais cela arrive. Et c’est une blessure dont on ne parle pas. Comme si nous traversions l’Afrique et que, sans le vouloir, nous percutons un éléphanteau. Nous continuons notre route, terriblement marqués, mais sans le raconter… »

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L’océan est un puit de carbone et a un rôle primordial dans la régulation du climat, en séquestrant près de 30 % du CO2 émis par les humains (source : CNRS), même si le chalutage (filets de pêche qui raclent les fonds marins) libère une partie du CO2 stocké.

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Entre 1850 et 2021, l’acidité des océans a augmenté de 40 % (source : Copernicus). En 2025, l’acidification des océans est devenue la 7ème limite planétaire à être dépassée.

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L’océan produit plus de 50 % de l’oxygène que les êtres vivants respirent. La santé de l’océan est intimement liée à celle du vivant (source : ONU)

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37,7 % des stocks de poissons sont surexploités, soit 3 fois plus qu’en 1970. Autrement dit, près de 4 poissons sur 10 sont pêchés plus vite qu’ils ne peuvent se renouveler (source : Muséum National d’Histoire)

La nuit fut hachée, la faute à un vent marin capricieux et à un esprit tourmenté.

Anna se tire péniblement du lit, avec toujours autant de questions, sinon plus. Le constat est sans appel : les mers et les océans sont en danger et avec eux, la vie. Il y a bien des athlètes qui tentent d’alerter, contre vents et marées. Sera-ce suffisant ? Anna soupire. Elle aimerait faire plus et profiter de ses derniers jours de vacances pour initier quelque chose, n’importe quoi. Se rendre utile. “Je dois en parler à Jade”, se dit-elle dans un murmure. La veille, elle n’a pas pris soin de prendre son numéro. En cette matinée voilée, elle prend la direction de la Grande plage, avec l’espoir de la recroiser près du club de kitefoil.

La promenade sera fructueuse, Jade est là aussi, l’épaule en écharpe. La douleur est encore vive. La joie de recroiser Anna l’est tout autant. “Notre discussion me tourmente encore” indique t-elle à la vacancière, qui s’empresse de lui demander ce qu’elle pourrait faire pour aider. “Il y a des associations et des ONGs qui œuvrent et alertent depuis des années, des projets qui naissent chaque semaine avec des besoins bénévoles au sein des collectifs, des outils et des ressources qui ont été créés, tu peux t’en emparer !” lui répond-elle, avec un enthousiasme entraînant.

“Nous pouvons chacune et chacun alerter et aider à notre échelle” prend-elle soin d’expliquer à Anna. “Le plus urgent est de couper le robinet pour diminuer ces différentes sources de pollutions et les dégradations multiples qui pèsent sur les mers et les océans aujourd’hui. Ce qui est chouette, c’est que l’on peut s’entraider au sein d’un collectif. Chacun peut agir sur un domaine où il se sent bien, en mettant en place des actions de terrain, en sensibilisant le public, en interpellant les élus et les chefs d’entreprises, celles et ceux qui peuvent enclencher de vrais changements positifs et courageux. Tout cela se fait souvent dans la joie et ça fait du bien” conclut-elle, avec un brin de malice.

Passer à l'action

S'engager pour protéger

Les associations et ONG sont nombreuses à proposer outils, ressources et possibilité de s’engager. Chacun peut agir et passer à l’action !

Et si demain, les sports nautiques étaient responsables ?

Par Azaïs Perronin

Par-delà la ligne d’horizon, une révolution silencieuse s’est levée. Elle ne vient pas des vents ni des courants, mais d’une prise de conscience : les océans ne sont plus des terrains de jeu illimités.

Sur la côte basque, de jeunes gens mettent leur planche de surf à l’eau. Elles sont faites majoritairement en liège et non plus en fibre de verre, vestige de l’économie fossile. C’est devenu la norme depuis que les compétitions internationales de surf elles-mêmes l’ont rendu obligatoire pour réduire l’empreinte carbone de la discipline. Beaucoup de surfeurs sont venus des villes alentour non pas en voiture, la planche fixée sur le toit, mais en train. Car désormais, au même titre que le wagon vélo, des espaces pour les planches ont été créés par la SNCF. A l’échelle mondiale aussi, l’optimisation des déplacements a été repensée. Les fédérations de surf ont réorganisé leur circuit international et mis fin aux compétitions à l’autre bout du globe tous les mois. Le World Championship Tour se fait maintenant par blocs géographiques : 10 étapes en Indonésie une année, 8 au Portugal la suivante. Une nouvelle organisation saluée par les athlètes qui peuvent mieux récupérer d’une compétition à l’autre.

Au loin, les coques de bateaux aussi ont opéré leur mue. Chaque embarcation naît désormais avec un “passeport carbone” retraçant son cycle de vie, de la culture du matériau à sa désintégration ou son recyclage prévu…

Les enfants qui couraient et criaient au bord de l’océan ont laissé place à ceux qui courent et crient entre les arbres agités d’un jardin public, celui qui jouxte l’appartement d’Anna, à Tours. En cette matinée venteuse mais ensoleillée, Anna doit rejoindre quelques amis pour un programme dominical qui leur est assez singulier : une session de plogging. Anna a découvert cette pratique pendant les vacances, auprès de Jade. Le plogging consiste à conjuguer le plaisir de courir au geste utile de ramasser les déchets laissés dans la nature. Après un court briefing des bénévoles de l’association locale qui organise cette séance, la petite bande s’empare du matériel et s’en va nettoyer les bords du Cher. 

Des restes d’une soirée visiblement festive jonchent le parcours. Certains se montrent désabusés, d’autres passablement agacés. En courant, Anna justifie auprès de Jonathan cette sortie citoyenne, qu’elle espère bien réitérer. Cet ami de longue date ne fait en effet pas tout de suite le lien entre les déchets aperçus en mer et la remise en question estivale de la jeune femme, et la petite bouteille en plastique qu’il vient de ramasser autour du Lac de la Bergeonnerie.

Anna s’arrête un instant, saisit l’objet du bout des doigts, puis souffle doucement : “Cette bouteille aurait pu tomber dans le Cher, qui se jette ensuite dans la Loire. Son parcours se serait terminé dans l’Océan Atlantique. Des microplastiques s’en seraient alors progressivement détachés, auraient été avalés par des poissons… que nous aurions mangés ensuite ! Tous les cours d’eau pollués, par du plastique ou des produits chimiques, finissent leur course dans l’océan.” Tout prend sens. Comme si chaque geste minuscule, au bord d’un lac, d’un fleuve ou d’un jardin, dessinait déjà la promesse d’un océan plus clair, d’une biodiversité sauvegardée, d’une santé préservée.

Car protéger la mer commence toujours loin des vagues et des rêves, là où naissent les rivières. Sur terre.

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