Dans le cadre de la sortie du dossier Inspire “Des vagues et des rêves”, Azaïs Perronin s’imagine un monde dans lequel les sports nautiques – comme la voile, le surf ou le kitesurf – sont responsables.
Par-delà la ligne d’horizon, une révolution silencieuse s’est levée. Elle ne vient pas des vents ni des courants, mais d’une prise de conscience : les océans ne sont plus des terrains de jeu illimités.
Sur la côte basque, de jeunes gens mettent leur planche de surf à l’eau. Elles sont faites majoritairement en liège et non plus en fibre de verre, vestige de l’économie fossile. C’est devenu la norme depuis que les compétitions internationales de surf elles-mêmes l’ont rendu obligatoire pour réduire l’empreinte carbone de la discipline. Beaucoup de surfeurs sont venus des villes alentour non pas en voiture, la planche fixée sur le toit, mais en train. Car désormais, au même titre que le wagon vélo, des espaces pour les planches ont été créés par la SNCF. A l’échelle mondiale aussi, l’optimisation des déplacements a été repensée. Les fédérations de surf ont réorganisé leur circuit international et mis fin aux compétitions à l’autre bout du globe tous les mois. Le World Championship Tour se fait maintenant par blocs géographiques : 10 étapes en Indonésie une année, 8 au Portugal la suivante. Une nouvelle organisation saluée par les athlètes qui peuvent mieux récupérer d’une compétition à l’autre.
Au loin, les coques de bateaux aussi ont opéré leur mue. Chaque embarcation naît désormais avec un “passeport carbone” retraçant son cycle de vie, de la culture du matériau à sa désintégration ou son recyclage prévu. La course au large fascine toujours autant malgré les nouvelles contraintes qui lui sont imposées. Le Vendée Globe ne se gagne plus en 64 jours. Le record de 6 jours de la Route du Rhum ne sera probablement jamais battu. Qu’importe, la compétition demeure. Mais cette fois, sans faire abstraction du vivant. Les risques pour la faune marine, autrefois ignorés voire masqués, sont aujourd’hui pris très au sérieux. Les foils sont redessinés pour réduire les collisions, la vitesse est réduite dans les zones sensibles, les zones d’exclusion sont étendues et les dates de départ sont calées non plus sur la météo, mais sur les périodes de migration ou de reproduction des cétacés. On ne “dompte” plus l’océan. On compose avec lui et ceux qui l’habitent.
Les retours transatlantiques en cargo qui étaient jusqu’alors responsables de 10 tonnes de CO₂ par bateau, ont été bannis. Les bateaux reviennent tranquillement par la mer, poussés par les vents, comme pour renouer avec l’essence-même de la navigation.
Longtemps perçus comme des loisirs élitistes, les sports nautiques sont redevenus populaires. Pratiquer le surf, le kitesurf ou encore le wingfoil ne nécessite plus d’investir dans un matériel coûteux. Les équipements ne sont plus achetés comme des biens de consommation, mais partagés, réparés, entretenus localement. Des coopératives permettent à chacun d’accéder à du matériel de qualité, produit dans des circuits courts. Les écoles de voile, de surf, de kayak sont devenues des centres d’éducation océanique : on y apprend autant à lire les vagues qu’à comprendre les effets du changement climatique ou à reconnaître les espèces menacées. Car jouer avec la mer c’est en accepter les règles. Et parce que le sport ne fonctionne qu’avec des règles, dans 10 ans, dans 20 ans, les limites planétaires auront fini par en devenir.