Jean-Baptiste Bosson, glaciologue.

"Si tous les glaciers
fondent, le niveau
des océans s'élèverait
de 66 mètres."

“Les glaciers jouent un rôle crucial dans la régulation du climat mondial et la fourniture d’eau douce, essentielle pour des milliards de personnes. Cependant, en raison du changement climatique, principalement provoqué par les activités humaines depuis les années 1800, ces ressources vitales fondent rapidement. Les Nations Unies ont désigné 2025 comme l’Année internationale de la préservation des glaciers.”

Les Nations Unies.

Ils et elles sont scientifiques, guides de haute-montagne, expert(e)s ou sportif(ve)s… À force d’y marcher, d’y vivre, d’y travailler, ils sentent avant tous les autres le frémissement des glaciers qui reculent.

Témoignages entremêlés de sept Gardiens des glaces : sept vies accrochées aux glaciers, sept quotidiens qui basculent lentement, sept manières de s’adapter à un monde blanc qui s’efface.

Gardiens
des glaces

Par Michaël Ferrisi, avec les contributions d’Azaïs Perronin et Sanaga.

Les glaciers
en chiffres

0
km³ de glace
0
glaciers sur terre
0
%
de l’eau douce mondiale 
-
0
%
de superficie pour les glaciers pyréneens depuis 1850
-
0
%
de volume glaciaire pour les glaciers des Alpes
0
%
de la population mondiale dépend de l'eau des glaciers

Sources : UNESCO & IUCN, 2022 – World Heritage Glaciers: Sentinels of Climate Change ; National Geographic France (2022) ; ETH Zurich ; Nature ; Rapport du GIEC (IPCC) – Sixième Rapport d’Évaluation (AR6), Groupe de travail II : Impacts, adaptation et vulnérabilité (2022)

01

Glaciologue et directeur de l’association Marge Sauvage

Jean-Baptiste Bosson

Les glaciers sont la clé de voûte de l'habitabilité de la planète.

« 2025 est l’Année internationale des glaciers, et ce n’est pas un hasard : les glaciers sont fondamentaux, bien plus qu’on le croit, pour le fonctionnement de la planète. Depuis 300 000 ans, chaque seconde de chaque vie de chaque homo-sapiens est liée à eux. Nous avons la même composition majoritaire : l’eau. Ils font aussi partie des cinq grands piliers du climat. En couvrant 10 % des terres émergées, ils régulent le climat, produisent de l’eau froide, influencent les flux océaniques. Le climat à Toulouse dépend, par exemple, de la fonte des glaciers en Antarctique et au Groenland.

Les glaciers régulent également le cycle de l’eau : ils représentent 70 % du stock d’eau douce mondial. S’ils fondaient tous, le niveau des océans s’élèverait de 66 mètres, bouleversant toutes les cartes du monde. Ils sont aussi un habitat pour la biodiversité. En clair, les glaciers sont la clé de voûte de l’habitabilité de la planète. Que l’on vive à Chamonix, Paris ou Ouarzazate, notre climat et nos conditions de vie en dépendent.

Avec l’association Marge Sauvage, nous agissons pour tenter d’endiguer ce problème. Nous produisons de la donnée scientifique pour montrer à quel point le destin de la planète dépend des glaciers. C’est fondamental. Nous partageons ensuite cette connaissance dans des conférences, auprès des médias, du monde politique et des acteurs des territoires. Nous proposons aussi des solutions, comme rappeler l’urgence d’appliquer les Accords de Paris de 2015.

Une autre action que nous avons proposée consiste à stopper la destruction des glaciers à la pelleteuse, à la dameuse ou à l’explosif, par les domaines skiables ou les compagnies minières. Les placer dans des zones protégées permet d’empêcher ces atteintes intolérables. Avec Marge Sauvage, nous avons convaincu l’État français d’être le premier État européen à annoncer que l’intégralité de ses glaciers allait être protégée. Cela figure désormais dans la Stratégie nationale de biodiversité, et donc dans le Plan d’action de la France pour la protection de la nature. Nous accompagnons aujourd’hui l’État dans l’implémentation de cette politique dans les territoires.

Je pense que chaque citoyen doit s’intéresser à ces écosystèmes, alerter autour de soi sur leur importance et leur disparition. Nous devons agir pour le climat et réfléchir à comment chacun d’entre nous peut limiter son impact. »

La Mer de Glace, près du Mont Blanc, prise en photo du ciel, à un siècle d'intervalle. - © Crédit : Walter Mittelholzer, ETH-Bibliothek Zürich & Dr. Kieran Baxter, University of Dundee

02

Explorateur et
conférencier

Vous avez un nouveau message de...

Matthieu Tordeur

Depuis l’Antarctique, où il effectue une expédition scientifique aux côtés de la glaciologue Heïdi Sevestre, Matthieu Tordeur a laissé un message sur la boite vocale d’Ecolosport, dans lequel il explique cette aventure dont le but est de scanner 4 000 kilomètres de calotte polaire, et sensibiliser à la fonte des glaces.

L'humeur de Sanaga

Dans chaque Inspiration, le dessinateur Sanaga nous partagera son humeur à travers son coup de crayon, toujours aussi aiguisé !

03

 Chargée de projets Sports de Nature au Conservatoire des Espaces Naturels de Haute Savoie (Asters-CEN74)

Christelle Bakhache

Quand la pratique n’est plus possible, la vie ne l’est plus non plus.

« Mon travail au quotidien consiste à faire coexister les différentes activités de sport de nature et les projets menés pour protéger la nature dans les écosystèmes de montagne. Avec le recul des glaciers, nous observons par exemple des sécheresses différées entre les hautes et les basses vallées. Quand la basse vallée est en situation critique de sécheresse, la haute vallée connaît encore, en plein été, des débits très importants, simplement parce que les glaciers fondent. C’est une sorte de bombe à retardement : le jour où il n’y aura plus de glaciers à faire fondre, il n’y aura plus beaucoup d’eau, nulle part.

Dans les gorges et les canyons, cette tension sur l’eau est déjà bien réelle. Dans certains départements, des interdictions préfectorales d’accès ont été mises en place par manque de débit. Quand il n’y a plus assez d’eau, on ne peut plus faire du canyoning en sécurité : plus assez d’eau pour les sauts, des risques bactériologiques, un danger pour la ressource en eau potable. Mais au-delà des sportifs, ce sont surtout les habitants de ces milieux qui sont en première ligne : les poissons, les oiseaux, toute une vie coincée dans un espace très contraint. Quand la pratique n’est plus possible, parfois la vie ne l’est plus non plus.

En altitude, l’ISO 0 – l’altitude à laquelle il fait 0°C – bat des records pratiquement tous les étés. Là où nous avions majoritairement des températures négatives, nous avons désormais des températures positives. La neige fond, la glace recule, les tabliers disparaissent et laissent apparaître un rocher parfois de mauvaise qualité. Le paysage se transforme et le terrain devient plus instable. Les chutes de pierres deviennent plus probables et peuvent atteindre les sentiers et les installations autrefois protégés par le froid. La raréfaction de la neige et de la glace entraîne une forte concentration des pratiquants sur les zones encore praticables. Cela provoque une concentration des impacts (déchets, pollution), des conflits d’usage avec les espèces adaptées et en recherche de froid, et des problèmes de sécurité sur les itinéraires, notamment en cascade de glace et en ski.

En moyenne montagne aussi, le changement est très concret. En période de canicule, on observe aujourd’hui plus d’abandons liés aux hyperthermies qu’aux hypothermies. La question devient celle du confort de pratique, du nombre de jours réellement possibles, des horaires, des saisons qui se déplacent. Tout cela oblige à réfléchir autrement. À l’accessibilité, à la sécurité, mais aussi à l’impact de nos pratiques sur des milieux déjà en souffrance. »

04

Glaciologue et guide de haute-montagne

Christophe Ogier

Et si demain... les sports de montagne se transformaient ?

Par Azaïs Perronin

La montagne a retiré son manteau de neige pour laisser place à un paysage plus minéral. Christophe Ogier a grandi avec des monts enneigés mais consent à voir cette carte postale se métamorphoser. “Visuellement, la montagne de demain est différente, moins blanche, avec moins de neiges éternelles mais elle est belle tout de même, à sa façon”.  

Pour atteindre ses sommets, ses voies d’escalade et ses pentes ardues, la voiture n’est plus l’automatisme. Le discours sur la performance sportive en altitude a lui aussi changé : elle est désormais jugée à l’aune de nouveaux critères. “Faire l’ascension de l’Himalaya en ayant pris l’avion et employé une vingtaine de porteurs est certainement moins valorisé qu’une ascension à la maison, plus créative. On part du bas, on claque la porte de chez soi avec son matériel et on enfourche son vélo pour rejoindre sa voie”.

Là-haut, le rapport au temps est différent, influençant disciplines et pratiquants. Avec le retrait des glaciers, les versants deviennent plus instables, comme dans le massif du Mont-Blanc. “Typiquement, le téléphérique de l’Aiguille du Midi est construit sur un sol qui se réchauffe jusqu’au moment où il pourrait tomber”. Sans remontées mécaniques, l’alpinisme prend une autre forme. “Maintenant, pour accéder à une goulotte dans le bassin du Géant, on marche une journée au lieu de prendre un téléphérique. Les sacs sont plus lourds, la performance est amoindrie parce qu’il y a plus de logistique. On renoue avec une approche plus authentique, fidèle aux valeurs montagnardes classiques”

“Les glaciers ne sont pas juste les terrains de jeu de skieurs et d’alpinistes. Ils sont le réservoir de notre eau, ils stockent les excédents de précipitations en hiver pour les redistribuer au bon rythme en été. Ils sont nos rivières, nos fleuves. Ils sont l’eau nécessaire à la biodiversité. Ils sont l’électricité de nos barrages, le liquide de refroidissement de nos centrales nucléaires. Ils sont l’irrigation de notre agriculture. Alors, si nous ne prenons pas garde aujourd’hui aux messages que les glaciers nous envoient, ce sera à notre tour, nous les êtres humains, de devenir les étoiles de la Terre.”

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Doctorant en géographie, guide et alpiniste

Xavier Cailhol

C'est comme si les stades changeaint chaque jour

« Je suis doctorant au laboratoire EDYTEM de l’Université Savoie-Mont Blanc, guide de haute-montagne et diplômé d’État en escalade. Les glaciers sont énormément de choses, mais ils sont aussi un support de la pratique de l’alpinisme, un élément avec lequel on compose à chaque sortie. Quand ils se retirent, c’est comme si une partie de nos terrains de pratique se modifiaient en continu. C’est comme si, par exemple, pour d’autres activités sportives, les stades changeaient chaque jour, au fur et à mesure du dérèglement climatique.

Et derrière ce constat très centré sur une façon de pratiquer l’alpinisme moderne, il y a la crise environnementale qui se matérialise sous nos yeux. Là où les discours restent parfois abstraits – hausse des températures, permafrost qui se dégrade – la cryosphère, elle, dit tout immédiatement : elle fond chaque jour davantage. Les travaux de Jacques Mourey montrent que 26 processus transforment la morphologie des montagnes : de nouveaux lacs, de nouvelles torrentialités, des écroulements rocheux. Et puis il y a ce noircissement : les glaciers sans neige deviennent gris, les montagnes perdent leur blancheur et l’imaginaire qui va avec. Même le paysage sonore change, avec ces petites chutes de pierres régulières qui donnent une ambiance un peu stressante.

Tout cela bouscule l’imaginaire de l’alpinisme. On s’est construit autour de hauts sommets, de glace, de conditions relativement immuables. Aujourd’hui, il y a un décalage entre ce que l’on imaginait en lisant les récits et ce que l’on découvre réellement sur le terrain. Ce décalage pousse à la mise en action : à court terme, pour gérer les risques, et à plus long terme, pour se demander comment faire évoluer une pratique reconnue comme patrimoine culturel et immatériel par l’UNESCO, mais aussi nos modes de vie.

Et puis il y a les expériences personnelles marquantes. Le glacier de la Glière, où j’ai fait ma première course d’alpinisme il y a quinze ans, n’existe quasiment plus. Et cet été, le rocher du Génépi s’est effondré : plus de 400 000 m³ de roches, la moitié d’une montagne, se sont écroulés. Devant ces avant/après, on reste saisi.

2025 marque les 10 ans de l’accord de Paris. Quand on voit la vitesse à laquelle les glaciers disparaissent, on mesure à quel point il est indispensable de tenir ces engagements. Et surtout, de ne rien lâcher au quotidien. »

06

Ancienne athlète de haut-niveau, conférencière et co-fondatrice de Sport For Future

Armelle Courtois

Invitée du "Poddcast"

Avec son projet Riding to Explore, Armelle Courtois a kitesurfé les plus hauts lacs de montagne pour alerter sur le changement climatique et la fonte glaciaire. Elle avait témoigné dans le 5ème épisode du “Poddcast” d’Ecolosport. “Quand un glacier se retire, il laisse place à une zone de pure naturalité, un des derniers espaces sur Terre qui n’a pas été touché ou modifié par l’Homme.”

Avec Sport For Future, elle tente de sensibiliser les athlètes au changement climatique en les amenant sur le terrain, et notamment sur les glaciers alpins, avec des scientifiques et des experts.

Passer à l'action

Les associations et les initiatives pour protéger les glaciers sont nombreuses. En voici une sélection : chacun peut agir et passer à l’action !

07

Responsable image et communication chez Protect Our Winters France

Louisa Moreau

Les luttes environnementales ont besoin de changements systémiques

« Pour moi, l’un des premiers enjeux, surtout quand on ne vit pas nécessairement en montagne, c’est de comprendre le lien que l’on entretient avec le milieu montagnard et avec les glaciers. On peut avoir l’impression que cela ne nous concerne pas directement, mais la fonte des glaces nous impacte tous. Des projets comme Downstream, le film que nous avons produit l’an dernier, permettent justement de montrer comment le cycle de l’eau relie la montagne à celles et ceux qui vivent ailleurs. C’est un point de départ essentiel pour prendre conscience de cette réalité.

Chez Protect Our Winters, on croit aux gestes individuels. Ils sont nécessaires. Mais on est convaincus qu’ils ne sont pas suffisants et qu’ils doivent aller de paire avec des changements systémiques. C’est pour cela que le plaidoyer est au cœur de notre action. On va directement voir les instances décisionnaires, notamment au niveau local et régional, pour leur demander plus d’ambition en matière de politiques environnementales. La mobilité et les transports sont le nerf de la guerre, car ils sont directement liés aux émissions de gaz à effet de serre qui sont elles-mêmes directement liées à la fonte des glaciers. On s’adresse autant aux populations de montagne qu’aux publics urbains. On vit tous en aval des glaciers.

Le court film intitulé La Voix des Glaciers  (voir ci-dessous) vient notamment clôturer la 3ème et dernière saison de notre projet du même nom. Il s’agissait d’un dispositif d’organisation d’événements offrant aux citoyens la possibilité de mettre sur pied des projections avec des temps d’échange partout en France. Les films et les débats étaient puissants et provoquaient souvent des émotions très fortes. Créer des espaces collectifs pour notamment pouvoir les exprimer, tout en les associant à de la science et à de la politique, nous paraissait être une bonne façon de sensibiliser et d’inciter à l’action.

La mobilisation passe aussi par les grandes échéances démocratiques. Les élections municipales en 2026, puis les élections présidentielles en 2027, sont des moments clés. Pour nous, les glaciers sont un objet, un symbole, pour parler de ce qui arrive d’abord en montagne… avant d’arriver partout ailleurs. Notre objectif n’est pas seulement de protéger la montagne, mais d’utiliser ce qu’on y observe pour interpeller l’ensemble de la société et encourager une responsabilité collective.

La force du collectif est fondamentale. Face à des enjeux aussi graves que la fonte des glaciers, on peut vite avoir l’impression d’être une goutte d’eau. Rejoindre une association, agir ensemble, créer des espaces de partage et même de joie, c’est ce qui permet de ne pas rester seul. On reçoit énormément de témoignages de personnes pour qui cette démarche collective a été une étape importante dans leur cheminement individuel. Et c’est sans doute là que réside une grande partie de notre force. »

Un dossier réalisé en partenariat avec