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Qatar 2022 : les chiffres et l’impact de la Coupe du Monde

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A moins d’un mois de son démarrage, jamais une Coupe du monde n’a été autant critiquée, avec des appels au boycott partout dans le monde. Du 20 novembre au 18 décembre, 1,2 millions de spectateurs sont attendus au milieu du désert qatari pour ce Mondial. Pour quel impact sur les infrastructures, l’humain, l’économie et pour quel bilan carbone ? Éléments factuels de réponse.

Infrastructures

La Coupe du Monde masculine de la FIFA Qatar 2022 sera la première Coupe du monde organisée dans un pays arabe. Pour l’occasion, le Qatar a construit six nouveaux stades et en a modernisé deux autres, pour une enveloppe de 4 milliards de dollars. Le stade international de Khalifa et le stade Ahmad-ben-Ali sont les deux stades à avoir été rénovés. Le stade Lusail, qui accueillera la finale du tournoi, est le plus grand des stades avec une capacité de 80 000 spectateurs. Les autres stades ont une capacité qui varie entre 40 000 et 60 000 spectateurs. Un seul stade, fait de conteneurs, sera déconstruit suite à l’événement, tandis que les autres continueront d’être utilisés, selon les autorités officielles.

Si cette édition est la première à ne pas se tenir au mois de mai, juin ou juillet, c’est en raison des importantes chaleurs du pays pendant l’été. Sur les 8 stades à ciel ouvert, 7 sont équipés de climatisation, laissant présager une consommation d’électricité sans commune mesure. L’édition ayant été déplacée pendant l’hiver pour éviter les fortes chaleurs des étés qataris, le Comité suprême insiste sur le fait que la climatisation ne sera pas activée. Les températures oscilleront entre 20 et 30 degrés, limitant peut être l’usage de la climatisation au pic de chaleur du milieu de journée. Le Comité reste cependant discret sur la question, et ne s’est pas retenu de publier des vidéos promotionnelles de la Coupe du Monde vantant les mérites de cette climatisation de pointe.

En plus de la construction de ces stades, le Qatar a fait face au manque d’hébergements. L’émirat est un petit pays en superficie, à peine plus grand que la Corse et plus petit que le Monténégro. Alors que 1,2 millions de spectateurs sont espérés par le Comité, ce qui représente près de la moitié de la population qatarie, tous n’ont pas pu trouver de logement dans le pays. Pourtant, Doha a innové, et les supporters pourront dormir dans des hôtels grand luxe, dans des tentes de style bédouin ou même des bateaux de croisières. C’est donc 160 vols quotidiens qui se chargeront d’acheminer les spectateurs des pays voisins, soit environ un avion toutes les 10 minutes…

Droits humains

Autre important grief à l’encontre de la Coupe du monde, les nombreux droits humains bafoués par les autorités officielles.

Les conditions de travail des ouvriers sont régulièrement dénoncées : les chiffres d’une enquête du journal britannique The Guardian révèlent que la plupart des ouvriers sont immigrants et venus d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka. Selon certaines ONGs, plus de 6 500 travailleurs migrants seraient décédés depuis 2010 sur les différents chantiers (on parle de plus de 15 000 morts pour d’autres ONGs), et plus de 69% sont morts de façon inexpliquée, soit plus de 4 485 travailleurs décédés sans cause officielle. Les logements insalubres, les fortes chaleurs, la déshydratation, le travail forcé et de nombreux salaires impayés sont en cause. De nombreuses ONGs dénoncent régulièrement les conditions de travail, à l’instar d’Amnesty International ou Human Rights Watch. Les autorités qataries ont annoncé qu’elles ne créeront pas de fonds d’indemnisation pour les ouvriers, et qualifient les dénonciations des ONG de « coup de communication » et de « racistes ».

Doha avait pourtant abrogé le système de kafala en 2016, un premier pas vers une amélioration des droits des travailleurs. La kafala est un système de contrôle des travailleurs migrants. Chaque travailleur est placé sous tutelle d’un « sponsor » (traditionnellement son employeur) qui confisque son passeport et par la même occasion les droits du travailleur. Impossible de changer d’emploi, d’avoir des congés ou même de sortir du pays sans l’accord dudit sponsor. Et même si le système a été officiellement aboli, de nombreux témoignages montrent que les exactions perdurent, et qu’un standard minimum des droits humains suffisant n’est toujours pas établi.

Le Qatar ne respecte pas non plus les droits des LGBTQIA+. Les relations sexuelles entre personnes de même sexe sont interdites, et la peine peut aller jusqu’à sept ans de prison. Alors que les propres statuts de la FIFA déjà en vigueur en 2010 interdisent toute discrimination envers les personnes LGBT, comme celles que le Qatar a inscrit dans sa législation nationale, aucun progrès n’a été fait de ce côté. Bien que le Qatar autorisera les supporters à déployer des drapeaux arc-en-ciel pendant les matchs, et que les supporters homosexuels pourront se tenir la main, cela n’implique nullement une amélioration des droits LGBTQIA+ pour les résidents qataris.

Finances et économie

L’économie entourant la Coupe du monde 2022 est gigantesque, comme pour la grande majorité des événements sportifs mondiaux. Doha a dépensé 220 milliards de dollars pour construire les différentes infrastructures, entre les nouvelles routes, les transports publics, les stades et les logements. En terme de bénéfices, elle s’attend à ce que l’événement rapporte 20 milliards de dollars à son économie à court terme, et les retombées continueront de s’étaler sur le long terme grâce aux infrastructures permanentes.

Nasser Al Khater, directeur général de la Coupe du Monde de la FIFA Qatar 2022, a expliqué que ce Mondial s’inscrit dans un grand plan de développement du pays, initié en 2008, et que les retombées s’étaleront sur les 20 prochains années.

La FIFA a également beaucoup à gagner de cette édition : elle avait gagné 5,4 milliards de dollars en 2018. De nombreux experts semblent s’accorder sur le fait que les dépenses en publicité et marketing autour de la Coupe du monde atteindront un record pour cette édition 2022, et qu’il faudra peut être s’attendre à la même chose en termes de bénéfices. Comme il s’agit d’une organisation à but non lucratif, elle doit réinvestir la majorité de ses gains dans le développement du football.

Impact carbone

La volonté des organisateurs de la Coupe du monde d’avoir une compétition neutre en carbone dénote avec le pays. Le Qatar est l’un des principaux exportateurs de gaz au monde, et détient le triste record mondial d’émissions de dioxyde de carbone par habitant, soit un peu plus de 30 tonnes par habitant en 2017. La France se situe à la 58ème place avec une moyenne s’élevant à 4,56 tonnes.

De nombreuses ONGs jugent la neutralité carbone proclamée de l’évènement comme une publicité mensongère. En France, Notre Affaire à Tous a indiqué avoir saisi le Jury de déontologie publicitaire pour greenwashing. Des plaintes similaires ont été déposées au Royaume-Uni, en Suisse, en Belgique ou encore aux Pays-Bas.

Une enquête de la Carbon Market Watch montre que les calculs des autorités qataries ignorent d’importantes sources d’émissions de CO2, et que les crédits carbone achetés pour l’événement sont peu fiables. Le Comité Suprême et la FIFA ont publié un rapport en février 2021 estimant l’empreinte carbone de l’événement à 3,6 millions de tonnes de CO2. Selon Carbon Market Watch, les émissions carbone liées à la construction des stades seraient en réalité 8 fois plus importantes. Le rapport souligne également que les stades ont été construits spécifiquement pour la Coupe du monde. Bien que les autorités qataries affirment qu’elles continueront d’utiliser les stades, l’on peut douter de la capacité d’un si petit pays à utiliser pleinement sept stades dans le futur. De plus, le calcul d’empreinte carbone ne prend pas non plus en compte la maintenance et l’utilisation des stades après l’événement, mais se maintient aux 28 jours de la compétition. Les 160 vols quotidiens des supporters ne sont pas non plus inclus dans le calcul.

La fiabilité des crédits carbone achetés par le Qatar est également mise en cause par le rapport. Le marché des crédits carbone permet d’acheter un « droit à polluer », ce qui permet de niveler les émissions carbone à travers le monde, et d’une certaine manière « annuler » les émissions dans un endroit du monde en prétendant qu’elles ont eu lieu à un autre endroit, ou bien en les compensant en plantant des arbres, puits à carbone. Le système de crédits carbone est régulièrement dénoncé comme une manière de continuer à produire autant de CO2 tout en s’achetant une bonne conscience et dénoncent ce système. Enfin, l’enquête de la CMW montre que le Qatar n’a acheté que 1,5 millions de crédits carbone, alors même que l’estimation de 3,6 millions de tonne de CO2 est déjà sous-estimée.

Le non-respect de l’environnement et le greenwashing effectué par les organisateurs et l’obtention par l’événement de la norme ISO 20121 avait déjà valu un Carton Rouge de la rédaction, à lire ici.

Et donc, boycotter le Mondial, c’est une bonne solution ?

Beaucoup appellent à boycotter la Coupe du Monde, mais nombreux sont ceux qui reprochent à cette solution d’être au mieux peu utile, au pire absurde. Avant de se demander s’il s’agit d’une bonne solution, il faut surtout comprendre pourquoi il s’agit d’une des rares actions possible face à la FIFA et au Qatar.

La FIFA est une association de droit privé. A l’inverse des organisations internationales, il n’est donc pas possible d’engager sa responsabilité internationale. Le pouvoir normatif de la FIFA s’arrête aux personnes sous sa juridiction, et il n’existe aucun contrat liant directement la FIFA et l’Etat d’accueil de la compétition mondiale. Le Qatar reste souverain, et la FIFA elle-même n’a que peu de pouvoir puisque c’est le droit qatari qui s’applique pour cette édition. C’est aussi pour cette raison que le Qatar a pu publier récemment des règles très strictes à respecter par les supporters. Le document officiel, long de 16 pages et divisé en 6 chapitres, interdit les tenues indécentes, de boire de l’alcool et d’être ivre dans la rue, ou encore l’obligation de garder une certaine distance des femmes qataries.

La solution serait donc davantage de réviser les critères d’attribution de telles compétitions sportives internationales, puisqu’il n’y a que peu de moyens juridiques possibles une fois le pays d’accueil choisi. Boycotter l’événement est une manière d’appeler à la révision de ces critères. Pour en savoir plus sur la problématique du boycott, n’hésitez pas à aller voir notre article sur le sujet.

© Photo à la Une : Icon Sport

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Lisa Ruston
Lisa Ruston

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