À moins de 2 mois du début des Jeux, un point inquiète encore : les épreuves aquatiques qui se tiendront dans la Seine. Alors que Surfrider s’alarme toujours, le COJO et la Ville de Paris tentent de rassurer. Entre dispositifs de dépollution des eaux et promesses de baignade, où en est-on aujourd’hui ?
Découvrez les articles de la série « En Jeux »
1 – Le défi de la mobilité pour décarboner Paris 2024
2 – Baignade dans la Seine : où en est-on ?
3 – Et s’il faisait 40 degrés pendant les Jeux ?
4 – Quel impact écologique pour la flamme olympique ?
5 – Offres végétariennes, provenance, emballages : la Food Vision de Paris 2024
6 – Avec Le Coq Sportif et Decathlon, Paris 2024 veut du Made in France
7 – Paris 2024 navigue entre sponsoring responsable et greenwashing
Anne Hidalgo, Emmanuel Macron, Laurent Nunez : ces trois personnes ont promis de se jeter dans le bain avant les Jeux olympiques et paralympiques. En effet, à l’occasion des vœux de début d’année, la maire de la ville de Paris a annoncé la couleur : « Et je vous le redis, en juillet 2024, je me baignerai dans la Seine ! » . Finalement prévue pour ce dimanche 23 juin, cette promesse de baignade révèle un enjeu crucial pour les Jeux : assurer la propreté des eaux de Seine.
C’est en l’occurrence dans ce fleuve que se dérouleront les épreuves de triathlon, de natation marathon ainsi que de paratriathlon. Pourtant, à 3 semaines de la baignade de la maire de Paris, la qualité de l’eau semble insuffisante, même si elle s’est améliorée en comparaison aux décennies précédentes. « L’eau est encore trois fois au-dessus des seuils », nous avertit Marc Valmassoni, coordinateur de la campagne Eau et Santé de Surfrider Foundation. Pour lever l’interdiction de baignade dans la Seine, qui date de 1923, l’Etat a débloqué un budget de 1,4 milliards d’euros. À désormais moins de 2 mois des épreuves dans les eaux de Seine, où en est-on ?
Surfrider continue de tirer la sonnette d’alarme
Le 8 avril dernier, l’ONG Surfrider Foundation a publié une lettre ouverte pour alerter le COJO quant à la qualité des eaux de Seine. Dès septembre 2023, l’association s’est activée pour faire des analyses bactériologiques dans la Seine, au niveau du pont Alexandre III, point de départ des épreuves aquatiques citées plus tôt. Comme nous l’a expliqué Marc Valmassoni, le but est de « voir si les dispositifs fonctionnent le jour où les installations sont mises en place », le tout en ayant des données sur la qualité avant et après leur mise en place, pour pouvoir comparer.
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Leurs analyses ont été, depuis cette date, réalisées bimensuellement pour mesurer la présence de deux bactéries dans l’eau, nommées E.coli et Entérocoques. Ces dernières permettent d’indiquer le niveau de pollution fécale de l’eau. Le niveau de référence pour leurs mesures provient à la fois de la directive européenne Eaux de Baignade datant de 2006, également préconisée par l’Agence Régionale de Santé Ile-De-France, mais aussi du barème des fédérations de natation et de triathlon. Ces niveaux de références débouchent sur trois qualités d’eau : bonne, moyenne ou mauvaise.
Les résultants sont jugés « alarmants », pour reprendre les mots de l’ONG. Sachant qu’une qualité jugée « bonne » est exigée pour autoriser la baignade, la majorité des résultats sont insuffisants. « Depuis septembre, on a fait une batterie de prélèvements, et on n’est pas dans le vert » nous explique Marc Valmassoni. L’entièreté des prélèvements réalisés en 2024, avant la publication de la lettre, ne permettent toujours pas une baignade saine. Depuis la lettre, les prélèvements ont continué et « pour l’instant – on est fin mai – et la qualité de l’eau n’est pas au rendez-vous ».
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Dans sa lettre, l’ONG poursuit en interpellant les autorités publiques sur le fait que « la santé des athlètes et des futurs baigneurs ne doit pas être relayée au second plan ». Concrètement, quels sont donc les risques encourus par les athlètes si les épreuves ont lieu dans de telles conditions ? « Ces risques, définis dans la littérature classique, sont les suivants : gastro-entérites, otites, toutes sortes de problèmes liés à la sphère ORL. Dans des cas beaucoup plus graves, on peut retrouver des staphylocoques pouvant survenir à la moindre ingestion ou plaie en contact qui rendent malade dans les heures qui suivent ». On peut aussi ajouter que la présence d’urine de rats peut causer des cas de leptospirose.
De son côté, l’Etat essaye de remonter le courant
En réponse à Surfrider, la préfecture de la Région Ile-de-France a publié un communiqué pour affirmer que « la Seine sera baignable ». La mauvaise qualité observée a été justifiée par l’absence de stations de désinfection à ces dates et aussi par un niveau de pluie important, qui ne sera probablement pas aussi haut cet été. Le 23 avril dernier, Emmanuel Macron tweetait : « L’eau de la Seine sera fraîche… mais propre. » C’est à l’occasion de l’inauguration de la station de dépollution des eaux pluviales à Champigny, ce 23 avril, qu’il a tenté de rassurer.
Cette dernière devra reverser 700 litres par seconde d’eau propre dans le principal affluent de la Seine, soit environ l’équivalent d’une piscine olympique par heure. Cette station est l’un des moyens principaux mis en œuvre dans le plan « Baignade », l’ouvrage phare restant le bassin de rétention de 50 000m3 de la gare d’Austerlitz, destiné à stocker les eaux pluviales. La propreté des eaux dépend en effet énormément de la météo : il suffit de grosses averses pour que dans la Seine se déverse un mélange d’eaux pluviales et d’eaux usées qui sont à l’origine de la mauvaise qualité, par faute de stations de dépollution remplies ne pouvant plus assurer le traitement.
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Que se passerait-il en cas de qualité insuffisante le jour des épreuves ?
Si les résultats ne sont pas conformes aux attentes, qu’est ce que le COJO décidera-t-il de faire ? Il y a, à ce jour, 3 possibilités.
La première est le décalage des épreuves de quelques jours, le temps que l’eau retrouve une qualité acceptable. Comme l’a confirmé une source de la Fédération française de natation auprès du Figaro, « à notre connaissance, pour le moment, les différentes options sont de pouvoir décaler les jours de course ». Est-ce réaliste ? « Pour le milieu marin et lacustre, cela peut s’expliquer : quand il y a du débit, on peut retrouver des seuils corrects quelques jours après mais il faut rester vigilant car les portes d’entrées sont multifactorielles dans la Seine : ce n’est pas que la pluie » détaille Marc Valmassoni.
La deuxième option est la pire sur le plan sportif : l’annulation des épreuves dans les eaux de Seine. Concrètement, le triathlon deviendrait duathlon et les épreuves en eau libre seraient annulées. C’est justement cette absence de plan B qui inquiète la championne olympique brésilienne Ana Marcela Cunha : « Il faut un plan B au cas où cela ne serait pas possible de nager. » De son côté, le COJO reste sur sa position en garantissant que les eaux de Seine seront baignables et qu’il n’y a donc pas besoin de prévoir une alternative.
La dernière option, et la plus inquiétante concernant la santé des sportifs, mais mérite d’être mentionné sur la base des évènements de l’été 2023 : le maintien de l’épreuve, autrement dit faire passer l’intérêt sportif avant la santé des baigneurs. En effet, en juin dernier, l’ARS Ile-de-France a donné un avis défavorable concernant la tenue de l’étape française des Championnats du monde de plongeon Red Bull Cliff Diving, prévue dans la Seine. La compétition a tout de même eu lieu grâce à un arrêté préfectoral, passé au-dessus des autorités sanitaires. Cela ne serait pas une première dans l’histoire des Jeux, les athlètes s’étant déjà plaints de la qualité des eaux à Tokyo ou encore à Rio.
L’espoir reste permis : si les ouvrages et travaux effectués permettent la baignabilité de la Seine pour les athlètes olympiques et paralympiques cet été, ce sont aussi (et surtout) les Parisiens et les Franciliens qui pourront ensuite en bénéficier. Et ce serait un bel héritage.