Alors que 96% du budget des Jeux de Paris 2024 est financé par des entreprises privées, comment le COJOP tente de concilier les enjeux économiques et de sponsoring à ses ambitions environnementales ?
Découvrez les articles de la série « En Jeux »
1 – Le défi de la mobilité pour décarboner Paris 2024
2 – Baignade dans la Seine : où en est-on ?
3 – Et s’il faisait 40 degrés pendant les Jeux ?
4 – Quel impact écologique pour la flamme olympique ?
5 – Offres végétariennes, provenance, emballages : la Food Vision de Paris 2024
6 – Avec Le Coq Sportif et Decathlon, Paris 2024 veut du Made in France
7 – Paris 2024 navigue entre sponsoring responsable et greenwashing
Le sport, et a fortiori les Jeux olympiques et paralympiques, ne peuvent aujourd’hui se passer de financements privés et du sponsoring. Pour les structures sportives engagées dans une démarche écologique ou de décarbonation, lier la stratégie économique à la stratégie environnementale n’est pas toujours facile. Le rapport de l’ONG Carbon Market Watch sur les JO à ce sujet est clair : « Les activités de toutes les entreprises listées comme partenaires officiels sont incompatibles avec les objectifs de l’Accord de Paris ».
Parmi les partenaires des Jeux de Paris 2024, certains sont en effet aussi gênants que rémunérateurs. Une liste dans laquelle TotalEnergies aurait pu apparaitre sans l’intervention de la mairie de Paris.
Coca Cola, le gros point noir du sponsoring
Plus gros pollueur plastique du monde, le groupe Coca-Cola fait partie des partenaires mondiaux des Jeux Olympiques. Cette catégorie de sponsors est la plus haute du parrainage olympique, celle qui permet aux entreprises d’être partenaire de chaque Olympiade et d’obtenir pour chacune d’elle des droits marketing internationaux.
Pour l’édition 2024 des Jeux, le géant du soda a tenté de montrer patte blanche sur le sujet de la pollution plastique. « Avec Paris 2024, Coca‑Cola s’est engagé à soutenir l’ambition de réduire de moitié l’empreinte plastique à usage unique par rapport aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Londres 2012. Pour s’assurer d’atteindre cet objectif, l’entreprise va distribuer les boissons revêtant ses marques via un modèle de distribution entièrement repensé et ainsi montrer qu’une économie circulaire des emballages, quels que soient leurs matériaux, est possible ». Sur le principe, c’est encourageant : fontaines à boisson, gobelets réutilisables, bouteilles en verre ou bouteilles en plastique et PET recyclées.
Malheureusement, la compagnie adepte du greenwashing n’en est pas à son coup d’essai. Comme l’a révélé France Nature Environnement le 5 juin dernier, 10 millions des 18 millions de boissons en circulation pendant les Jeux seront dans des contenants en plastique. Alors que le COJOP et la marque se sont vantés de la fin du plastique à usage unique, 6 des 10 millions de bouteilles serviront à remplir les gobelets réutilisables, et les 4 autres seront distribuées aux sportifs gratuitement. Bien que cette pratique soit interdite par la loi AGEC, Coca Cola profite d’une dérogation par le COJOP. Pratique.
Pourquoi c’est un problème ? Coca Cola, marque reine du marketing et du sponsoring, a été élue pour la sixième fois d’affilée plus gros pollueur plastique au monde en 2023, selon le rapport annuel de l’ONG Free From Plastic, qui dénonce des « programmes de greenwashing de plus en plus sophistiqués », qui s’appuient sur de « fausses solutions ».
Le groupe BPCE et les partenaires premium
Au rang du dessous, les partenaires premium n’en restent pas moins au premier plan pour Paris 2024, et financent l’édition contre une forte exposition domestique et le droit d’utiliser les marques de Paris 2024. Ils sont 6 et ont chacun offert entre 100 et 150 millions d’euros au COJOP.
Le groupe BPCE (Banque Populaire et Caisse d’Épargne) est l’un d’eux. Il est le le deuxième acteur bancaire en France et regroupe 35 millions de clients. Il est aussi l’un des groupes bancaires qui a reçu une mise en demeure exigeant de cesser de prêter de l’argent ou d’en investir auprès du géant minier suisse Glencore, en référence à une loi de 2017 sur le devoir de vigilance qui impose aux entreprises françaises de plus de 5 000 salariés de prévenir les risques que font peser leurs activités sur les droits humains, la santé et l’environnement.
Une ONG colombienne, Terra Digna, a découvert que certains groupes, dont BPCE, finançaient et étaient actionnaires de Glencore alors que, via sa filiale Prodeco, l’entreprise exploite des mines de charbon à ciel ouvert qui ont « pollué de façon dramatique l’environnement ». Pollution des eaux ne les rendant plus potables, maladies respiratoires liées aux poussières de charbon, cancers du poumon et maladies dégénératives : voici autant de conséquences de leur exploitation. L’ONG parle même d’une véritable « tragédie humaine ». BPCE est aussi accusée par l’ONG Sherpa d’avoir financé des multinationales de l’agroalimentaire au Brésil qui participent à la déforestation illégale de l’Amazonie et à l’accaparement forcé de territoires autochtones.
Les autres partenaires premium ne sont pas en reste. Sanofi, entreprise pharmaceutique, a par exemple été au cœur d’une polémique pour « rejet de matières dangereuses à taux astronomiques », pour reprendre les termes de l’association France Nature Environnement. C’est autour de l’usine de Mourenx (64) que l’entreprise a rejeté des dérivés d’hydrocarbure pouvant être à l’origine de problèmes respiratoires et effets cancérigènes. L’entreprise est en faute car responsable de l’absence de contrôle sur deux des trois cheminées émettrices.
Pour les groupes de réflexion New Climate Institute et Carbon Market Watch, « la plupart des stratégies climatiques des entreprises sont empêtrées dans des engagements ambigus, des plans de compensation qui manquent de crédibilité et des exclusions dans le périmètre des émissions ». Une réalité qui vient se confronter aux enjeux environnementaux de Paris 2024, qui ne peut pas faire sans le financement de ces entreprises.
Tout n’est pas à jeter
D’autres partenaires des Jeux, très imparfaits mais en progression, font partie des soutiens : All, Carrefour ou encore Danone. Certains d’entre eux veulent justement contribuer aux « Jeux les plus verts de l’histoire ». C’est le cas de Carrefour, qui fournit les JOP en produits frais et bio.
C’est aussi le cas, aussi d’EDF, qui promet une alimentation en électricité certifiée 100% renouvelable durant l’évènement. Sur l’ensemble des sites et infrastructures de Paris 2024, le groupe français garantit « qu’une quantité d’électricité d’origine renouvebale » et « équivalente à leurs consommations a été bien injectée sur le réseau électrique ». Cette garantie est assurée par la technologie blockchain qui permet une traçabilité parfaite de l’énergie. 8 différents parcs la produiront, 6 éoliens et 2 solaires.
Enedis, filiale du partenaire EDF, suit aussi le mouvement. Pour réduire l’empreinte carbone des Jeux, Enedis a remplacé les groupes électrogènes polluants car consommateurs de gazole par des « bornes électriques évènementielles ». Ces dernières resteront en héritage après la compétition, et serviront aux collectivités locales.
> Lire aussi : Paris 2024 : des bornes électriques événementielles dans 300 villes
Sur le plan du textile aussi, les équipementiers officiels de la compétition sont deux groupes français : Decathlon et Le Coq Sportif. Ces derniers ont fait l’effort du Made In France et d’une production la plus éthique et responsable possible.
Si certains, à travers leur partenariat, souhaitent participer à l’effort de réduction de la pollution et de l’empreinte carbone des Jeux, d’autres souhaitent simplement surfer sur le plus grand événement du monde. Paris 2024 navigue ainsi entre sponsoring responsable, sponsoring très classique et greenwashing. Et entre chacun d’eux, il n’y a parfois qu’un pas.