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Didier Lehénaff (SVPlanète) : « Nous sommes condamnés à l’optimisme »

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À l’occasion du Congrès Mondial de la Nature qui s’est tenu récemment à Marseille, nous avons rencontré Didier Lehénaff, fondateur des Eco-Games et de l’association SVPlanète (un Sport Vert pour ma Planète). Riche entretien avec celui qui est considéré comme l’historien du sport éco-responsable.

Il semble que le sport et les événements sportifs prennent de plus en plus le virage de l’éco-responsabilité… Comment analysez-vous cette situation ?

Didier Lehénaff : La prise de conscience puis la responsabilisation des acteurs du sport se sont opérées à partir du début des années 2000. A titre d’exemple, quand j’ai commencé à réfléchir sur les problématiques d’éco-responsabilité, j’étais Président de l’Union Européenne de Triathlon (ETU). Et je devais prendre des décisions absurdes du type : programmer les courses des juniors à 7h du matin car les diffuseurs voulaient pouvoir retransmettre les courses élite aux heures de forte audience. Nous balancions donc nos juniors dans une eau glacée pour faire plaisir aux télévisions… A cette époque, personne n’était vraiment au clair sur les problématiques sociales et environnementales dans le monde du sport.

Est alors arrivé le moment où, pour parler crument, j’ai pété les plombs ! J’ai quitté l’INSEP où j’étais enseignant-chercheur et toutes mes fonctions dans le monde du triathlon car j’éprouvais le besoin de me reconstruire. Cela faisait plus de 30 ans que j’évoluais dans le milieu du sport et je ne m’y reconnaissais plus. Le sport s’était inféodé à la sphère économique, et seuls le chiffre d’affaires, les droits marketing et la couverture média comptaient désormais. Le quantitatif avait pris le pas sur le qualitatif, au sens humain et environnemental du terme. Au début des années 2000, j’ai donc pris un virage décisif… et ma première initiative alors a été de créer un événement sportif alternatif : les Jeux Mondiaux de l’Environnement, qui sont ensuite devenus les Eco-Games ; et en parallèle j’ai fondé l’association SVPlanète, un Sport Vert pour ma Planète. Avec le soutien d’experts du sport qui avaient les mêmes préoccupations que moi, nous avons réfléchi sur la façon dont le sport pouvait et devait se réinventer pour faire face aux enjeux du 21ème siècle.

Il faut se remettre dans le contexte de l’époque, et imaginer qu’au début des années 2000 aucune information n’était disponible dans ce domaine ! Cette prise de conscience environnementale du sport est véritablement engagée depuis 10 à 15 ans, et le processus est toujours en cours puisque certains acteurs n’ont pas encore compris l’urgence de repenser leurs pratiques. Mais ceux des acteurs sensibilisés sont aujourd’hui passés à la phase de responsabilisation. Et on note une démultiplication des bonnes pratiques, accélérée par de nombreuses entités qui réalisent un travail fantastique d’accompagnement : la mission Développement Durable du Ministère des Sports, des entreprises-partenaires comme MAIF, des associations comme Surfrider Foundation, Mountain Riders, Trail Runner Fondation ou comme SVPlanète que j’ai fondée il y a plus de 15 ans. Toutes ces entités se sont construites au fil du temps pour porter le même flambeau. Aujourd’hui, elles se réunissent pour partager les bonnes pratiques, pour fédérer les énergies et on assiste à un effet d’emballement extraordinaire qui révolutionne l’écosystème-sport.

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Didier Lehénaff est le fondateur de SVPlanète et des Eco-Games
Que doivent faire les organisations sportives pour bonifier encore davantage leur impact écologique ?

Didier Lehénaff : Chacune de nos actions génère des impacts. L’idée est de minimiser ceux qui sont négatifs et de maximiser ceux qui sont positifs. La première étape de ce cheminement est de s’informer. Tout le monde n’a pas « naturellement » conscience de ce qu’il fait de bien ou de mal, de ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Il faut ensuite que chacun des acteurs du sport réalise un état des lieux, qui permet de savoir où on est et le chemin à parcourir pour devenir un acteur éco-responsable.

Je suis engagé dans un certain nombre de programmes de formation, dont celui de Match For Green. L’une des premières choses que je suggère à chacun des clubs que nous accompagnons est de lire la Charte des 15 engagements éco-responsables du Ministère des Sports, de se positionner sur chacun de ces 15 points en se demandant ce qu’il fait déjà ou pas encore, pourquoi, comment, avec qui, etc. Cela permet notamment d’identifier les inerties et les points de blocage, et donc de créer les conditions pour les dépasser… Tant que l’état des lieux n’est pas fait, on ne peut pas se fixer d’objectifs cohérents. C’est le point de départ incontournable ! Cette évaluation diagnostique peut être complétée avec des outils comme l’outil Oxy. Il a ce mérite de proposer près de 80 indicateurs pertinents sur les volets environnemental, social et en matière de gouvernance et permet de plus de monétiser (c’est-à-dire de valoriser économiquement) la sincérité de votre engagement éco-responsable.

Vous débattiez lors d’une conférence au Congrès Mondial de la Nature sur le sport à impact positif. Quel est votre avis ? Est-ce vraiment possible ?

Didier Lehénaff : Je crois effectivement qu’il faut avoir une posture positive dans ce domaine. J’ai beaucoup réfléchi sur ce sujet depuis le début des années 2000. À l’époque, j’insistais trop sur les impacts négatifs, j’étais trop radical dans mes prises de position… j’étais d’ailleurs considéré comme un « ayatollah » du développement durable, et les gens me fuyaient littéralement ! Mon approche était alors trop punitive, je n’avais pas compris que pour embarquer les gens il fallait les enthousiasmer. On peut promouvoir une écologie de combat pourvu qu’on soit positif.

Sport à impact positif ecologie sport Ecolosport

J’aime beaucoup le libellé de la table ronde à laquelle j’ai pris part (« Sport à impact positif et environnement : pourquoi et comment ? » ndlr) car elle prend une posture positive sans renier les aspects négatifs. Faisons un état des lieux, qui inclut ce qui est négatif, et fixons-nous des objectifs concrets en s’appuyant sur des piliers tels que l’éco-conception, la co-construction, la (re)valorisation du local et le souci constant d’œuvrer en simultané à la santé de l’Homme ET de la Planète. Nous construisons ainsi des ancrages foncièrement positifs… de toute manière, nous sommes condamnés à l’optimisme ! Un exemple pour illustrer ce propos : voici plusieurs années que je me suis mis à ramasser des mégots, déjà plus d’un million collectés à moi tout seul ! Sauf qu’il s’en jette plus de 8 millions dans le monde… chaque minute ! Que dois-je faire ? Arrêter sous prétexte que « cela ne sert à rien » ? Non, je fais ma part du colibri et j’enjoins les autres à en faire de même.

Ce n’est pas parce que nous adoptons la positive attitude que nous sommes des romantiques inefficaces ou des béats improductifs. Je compare souvent le WWF et Greenpeace, deux ONGs majeures de la protection de la planète, dont la première est souvent qualifiée de « bisounours », quand l’autre est davantage perçue comme rentre-dedans. Les deux, chacune à leur manière, sont tout aussi utiles. Chacun d’entre nous a ses idées, son profil et ses envies. L’important est d’être dans l’agir, c’est ça qui est positif, qui fait la différence !

17% des Américains s’intéressent à la science et 80% des Américains s’intéressent au sport. Le sport est un formidable vecteur de communication et d’engagement du grand public.

Dans l’industrie du sport business, qui sont les bons élèves ? Quelles organisations vous semblent être les plus avancées sur les questions écologiques et durables ?

Didier Lehénaff : Il n’y a pas de tendance lourde : juste des bons et des mauvais élèves, tant parmi les Fédérations que les organisateurs d’événements, les clubs ou les sportifs de haut niveau. Et notre rôle est d’essayer de tirer vers le haut les comportements de ces acteurs, pour transformer les mauvais élèves en bons. Et certains élèves sont vraiment à la traîne. Je stigmatise souvent le football, mais je tiens à relativiser aujourd’hui : le mauvais élève c’est le « football d’en haut », pas celui d’en bas. Quand on organise un Trophée des Champions en Israël, en Chine, aux Etats-Unis ou au Maroc, on est vraiment hors sujet, on vit totalement hors-sol. Messieurs les dirigeants de la FFF et de la LFP, réveillez-vous ! De même, il ne faut plus que les clubs professionnels prennent l’avion pour faire 200 à 300 kilomètres, alors que leur bus parcourt ce même trajet à vide pour récupérer les joueurs – qui ont passé 20 minutes dans l’avion – sur le tarmac de l’aéroport. Le sport doit devenir exemplaire, ce qui inclut les sportifs et les clubs de haut-niveau, ce qui est encore aujourd’hui trop souvent loin d’être le cas…

Arsenal Football Sustainability Premier League Ecolosport

Imaginez-vous en 2050. Comment espérez-vous avoir vu le sport évoluer ? Sera t-il vraiment éco-responsable ?

Didier Lehénaff : Le sport de 2050 devra se « relocaliser », et notamment relocaliser son événementiel. La mondialisation du sport a amené sportifs, organisateurs, staff, sponsors, médias et spectateurs à multiplier les voyages longue distance. Il va falloir repenser les calendriers vers davantage de sobriété : diminuer le nombre de rendez-vous ET le nombre de kilomètres pour chacun d’entre eux. Et c’est au CIO de montrer l’exemple. C’est d’ailleurs le souhait de beaucoup d’athlètes. Récemment, j’écoutais des traileurs français très connus comme Xavier Thévenard, ou encore la star Kilian Jornet, qui ont décidé de limiter leurs déplacements internationaux. Xavier a par exemple annoncé qu’il ne prendrait plus part au circuit nord-américain de trail. Une des voies à suivre est que les meilleurs mondiaux restent sur leur continent et ne se rencontrent qu’une fois ou deux chaque année sur un événement mondial. J’en parle en connaissance de cause puisque j’ai été membre du Comité exécutif des Unions européenne et internationale de triathlon (ETU, ITU) pendant de nombreuses années et que j’ai contribué au développement de ces circuits, avec l’idée qu’il « fallait » absolument que les meilleurs mondiaux s’affrontent chaque semaine en tous points du globe. Les temps ont changé et l’heure est venue de repenser les calendriers et circuits sportifs.

En parallèle de cela, d’autres acteurs vont se mobiliser pour pousser dans le même sens. L’industrie aéronautique va par exemple se révolutionner. Elle a déjà progressé, en termes d’efficience (consommation énergétique, émissions de gaz à effet de serre), de l’ordre de 20% en 20 ans. Et elle continuera à s’améliorer, via le solaire ou l’hybride par exemple. Tout cela pour dire que c’est par la fédération de toutes les énergies, sportives et extra-sportives, que le XXIe siècle redeviendra vert… ou ne sera simplement plus. J’ose le dire : nous sommes mal embarqués… Tout le monde doit s’y mettre, de Coca Cola au 10km de Joinville en passant par le CIO. Tous les acteurs du monde du sport doivent travailler ensemble pour faire en sorte que le sport de demain soit plus vert et serve d’exemple pour enthousiasmer et embarquer le grand public.

Une grande enquête réalisée il y a quelques années aux Etats-Unis avait montré que 17% des Américains s’intéressaient à la science et plus de 80% au sport. Quel meilleur exemple pour montrer que le sport constitue un formidable vecteur de communication et d’engagement du grand public. Je demande aux forces politiques et économiques de cette planète d’abuser du sport et de tous les sports pour les mettre au service du développement durable de nos sociétés. Utilisons-les sans aucune modération pour contribuer à rendre notre avenir plus viable, vivable et équitable !

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Michaël Ferrisi
Michaël Ferrisi

Ecolosport le PODDCAST explore la façon dont le sport peut contribuer à la réalisation des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) de l'ONU et comment ceux-ci peuvent soutenir le développement du sport.